L’occupation continue au théâtre du Nord !

Intermittents du spectacles et professionnels de la culture occupent le théâtre du Nord depuis jeudi 11 mars au soir.  Dans le sillage de Lyon, Strasbourg, Rennes ou encore Paris, d’où le mouvement est parti initialement du théâtre de l’Odéon le 4 mars, les militants lillois se positionnent. Ce dimanche 14 mars, à 11 h, les intermittants tenaient leur A.G. Ils ont voté à l’unanimité la poursuite de l’occupation des lieux. Circonflex y était.


 

C’est un mouvement national de grande ampleur qui saisit les intermittents du spectacle : une fièvre, un ras le bol des restrictions, une envie de jouer, de nous offrir leurs talents ; un rejet des mesures paternalistes qui les empêchent de travailler.  Ils disent non à la mort lente et forcée qu’ils vivent, non à la réforme de l’assurance chômage et s’engagent dans un mouvement national pour la réouverture des lieux de culture, une augmentation des moyens dédiés à la culture et une poursuite de l’année blanche.

 

« Millions d’êtres, soyez tous embrassés d’une commune étreinte ! »

 

Lille, un dimanche matin de mars, il est onze heures. Un vent océanique presque iodé balaie les rues froides, le ciel est bleu, quelques nuages fins défilent par-dessus les immeubles. Le grand beffroi chante l’ode à la joie et semble vouloir nous rappeler son message originel. Il nous supplie à plus de fraternité et nous invite à la communion, à la rencontre des âmes : « Millions d’êtres, soyez tous embrassés d’une commune étreinte ! ».

Sur la Grand Place, l’ambiance est encore hivernale, les passants, emmitouflés dans leurs manteaux, gants et bonnets, vaquent à leurs occupations dominicales.

Sur la balustrade surplombant l’entrée du théâtre du Nord, l’inscription « OCCUPÉ » domine la place depuis jeudi soir et nous remet les pieds sur terre. A l’entrée figurent les coordonnées du mouvement, des banderoles militantes et des appels au soutien.

A l’intérieur du théâtre ouvert à tous, sous les arcades qui précèdent les escaliers menant à la salle de représentation, l’Assemblée Générale s’est installée en cercle. Au programme, remise en contexte des enjeux, discussion et vote. Des membres du SFA-CGT (Syndicat professionnel des artistes dramatiques) nous rappellent l’origine du mouvement parti de Paris : « On y réfléchissait depuis un moment, avant même le 4 mars ». Les enjeux de la matinée sont importants, ils vont déterminer l’avenir de la lutte.

 

Nous sortons. Une table est installée, un micro branché.

 

Rapidement il n’y a plus assez de place à l’intérieur et certains sont obligés d’attendre à l’extérieur que de la place se libère. Par solidarité et respect des mesures de distanciation physique, la décision est prise de poursuivre l’AG dehors, sur la Grand Place. Nous sortons. Une table est installée, un micro branché, l’Assemblée continue en plein air.

 

Faut-il poursuivre l’occupation ? Dans quelles conditions ? La problématique majeure est qu’à partir de ce lundi 15 mars, et ce pendant deux semaines, une centaine de candidats à l’Ecole du Nord (dont les locaux sont situés à l’intérieur du théâtre) vont se succéder à flux tendus chaque jour pour effectuer leurs auditions. Pour le tout nouveau directeur du théâtre David Bobée, qui a organisé l’occupation en complicité avec les artistes, bien que l’occupation soit essentielle, « On ne peut pas perturber les 15 minutes de vie d’une gamine ou d’un gamin qui traverse la France pour réaliser un rêve ; c’est trop important. ». Pour lui, c’est une évidence : « une manière de rester ici, bien plus symbolique, doit se mettre en place pendant les deux semaines à venir ».

La parole circule, l’échange est riche et l’émotion forte. Pour certains, la situation devient insoutenable. « Il faut occuper ces lieux éteints, en sommeil ». Ils veulent faire de ce théâtre un espace commun d’expression des luttes, un lieu de partage et d’échange où tous seraient les bienvenus : étudiants, militants, intermittents, artistes, syndicats. Un espace de discussions et de rencontres. Tout ce qui nous manque tant depuis un an. Leur message est puissant, il a du sens.

Dans l’assemblée, une présence forte marque les esprits : Corine Masiero est là. Son intervention dénudée dénonçant l’abandon des intermittents par le gouvernement durant la 46ème cérémonie des Césars est encore forte dans les esprits. Les organisateurs, souriants malgré les masques ne cachent pas leur enthousiasme : « Elle est très présente sur le terrain. Cette après-midi, elle sera encore à une autre AG, elle nous soutient beaucoup. »

 

« Je vais tout faire pour vous obtenir les clés de Sébastopol ! »

 

La question se pose alors de savoir si l’occupation ne pourrait pas se poursuivre dans un autre lieu : « La mairie nous soutient ? Et bien, qu’ils nous laissent occuper le théâtre Sébastopol ! » souligne un militant. Une conseillère municipale à la mairie de Lille, membre de l’opposition de gauche prend alors la parole : « Bravo pour votre mobilisation, je vais tout faire pour vous obtenir les clés du Théâtre Sébastopol !  Nous sommes avec vous, le sort qui vous est réservé est inadmissible ! ». Depuis le début de l’occupation du théâtre du Nord, la Mairie de Lille a accueilli le mouvement avec ferveur et semble vouloir aider la lutte. Dans ce sens, une anecdote récente a marqué les esprits. La police municipale a enlevé vendredi une banderole de la balustrade du théâtre sur laquelle figurait « Les élèves de l’école du Nord demandent la réouverture des théâtres ». Le directeur du théâtre, David Bodée, ne souhaitant pas son retrait a ensuite été obligé d’aller la chercher au commissariat. Embêtée, la Mairie qui souhaite afficher son soutien à la culture a décidé d’en imprimer une nouvelle et c’est celle-ci qui flotte aujourd’hui devant le théâtre.

 

Toutes les mains se lèvent, l’unanimité est évidente, les visages se délient.

 

Au moment de voter, le cercle se resserre. L’assemblée demande aux étudiants du théâtre « de prendre leurs responsabilités pour une occupation durable et pérenne des lieux dans les prochaines semaines ». Une occupation plus symbolique, qui se ferait dans le respect des jeunes qui viennent passer leurs auditions.

Arrive le moment décisif : au milieu de la place où se tient l’assemblée, toutes les mains se lèvent, l’unanimité est évidente, les visages se délient, la lutte va continuer : « On occupe le théâtre jusqu’à ce qu’on ait une alternative ! ».

Plusieurs autres points importants sont décidés et le travail est réparti en commissions : une Assemblée Générale, tous les jours à 12h. Une scène ouverte, sur le temps du déjeuner ou le soir avant le couvre-feu … Les pistes sont nombreuses mais pour l’instant, rien n’est encore décidé. Les capacités de la mairie à répondre aux demandes des artistes ainsi que les décisions prises par les commissions détermineront les éléments marquants des jours à venir.

Au-delà de la réouverture des théâtres et de la culture, c’est à une convergence des luttes que ces artistes militants nous appellent. Échanges, discussions, partages et fraternité

sont autant d’invitations qui devraient nous interpeler davantage. Ils ne veulent pas du monde qu’on leur propose, ils veulent un monde qu’ils ont choisi, un monde qu’ils participent à construire, plus humain et plus social, un monde qui leur ressemble. Ils veulent un monde « d’après », puisque c’est comme cela qu’il doit s’appeler, où ils auraient leur mot à dire et où chaque voix serait entendue.

 

Un monde que nous, étudiants et citoyens, devons participer à construire.

 

Certains, comme toujours, diront des rêveurs qu’ils sont des utopistes naïfs, je leur répondrai : « Rendez-vous au théâtre du Nord ! ».

Célestin de Séguier