Bulent Demir, du terrain à l’assiette.

Ce soir, la France rencontre la Turquie, avec un match  qualificatif pour l’euro de football 2020. L’occasion de vous faire découvrir un commerçant lillois pour lequel ces deux nations signifient beaucoup. Bulent Demir, 47 ans, est gérant du kebab Le palais d’Istanbul, rue Colbert, et question foot, il sait de quoi il parle !

Né en Turquie et d’origine kurde, Bulent est arrivé en France en 1999, pour des raisons politiques. Âgé de 25 ans, il travaille une dizaine d’années dans le milieu de la restauration rapide en région parisienne, avant d’ouvrir son restaurant, Le palais d’Istanbul, à Lille, en 2010.

Je suis humaniste.

Humaniste, c’est ainsi qu’il se définit. Il le répète, c’est la France qui l’a aidé dès son arrivée, par le biais des associations, bien sur mais aussi par celui de l’Etat : « j’ai tout eu en France ». Travailler est une fierté, son restaurant est ouvert tous les jours, il paye taxes et impôts.  C’est une façon pour lui de rendre ce que la France lui a offert. « Les immigrés donnent de la valeur à la France », car comme il le confie, il n’est pas le seul à travailler tous les jours, il n’est pas un cas particulier. « Ces personnes nées à l’étranger permettent aussi de faire vivre la France, que ça soit directement, en faisant marcher les commerces, ou indirectement, en s’acquittant des impôts, en embauchant des employés… » Si sa réussite en France et la venue au monde de ses enfants sont pour lui une énorme fierté, un détail le gêne encore un peu : sa maîtrise de la langue. . « Je n’ai pas appris le français à l’école.  Ce sont mes enfants et mon travail au restaurant qui m’ont permis de faire des progrès. »  Un apprentissage sur le tas.

Les clients amateurs de kebabs qui franchissent la porte de son restaurant ne sont pas dépaysés : des broches à viande, une vitrine avec toutes sortes de légumes, de sauces, de boissons… jusque-là, rien de spécial. Mais une chose saute aux yeux : les drapeaux accrochés aux murs. Des planches de tissus jaunes et bleus. Ces couleurs, ce sont celles du Fenerbahce, l’équipe stambouliote de football.

Sa passion pour le Fenerbahce, qu’il supporte « depuis la naissance » lui vient de ses parents. Il suffit de discuter quelques minutes avec lui pour comprendre que le foot, c’est une grande partie de sa vie. Les matchs sont diffusés dans son restaurant, tous les week-ends. À 7 ans déjà, il avait une petite radio avec laquelle il écoutait les rencontres dans sa chambre. Chose qu’il fait toujours. Hasard du sort, c’est à cette période qu’il commence à suivre le football français à travers le Stade de Reims ou de Nancy. Mais c’est surtout l’AS Saint-Étienne qui a ses faveurs, et cela 20 ans avant de rejoindre la France.

Je supporte l’équipe de France.

Depuis, il garde toujours un œil attentif sur son club, à distance. Et une chose est certaine, il ne manque jamais d’aller le voir lorsqu’il joue à Lille. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait en 2010, lors du match Lille – Fenerbahce. « Je portais un maillot du Fenerbahce au milieu des Lillois, mais mis à part quelques réflexions, je n’ai eu aucun problème. Ici tu ne risques pas de prendre un coup ou de mourir lors d’un match de football ». Cela change de la Turquie, où « il y a toujours eu des morts à cause du football. Des vies sont arrachées à coups de couteau, et des familles entières souffrent ». Il vise particulièrement les rencontres où le Fenerbahce affronte Galatasaray, l’autre club d’Istanbul, l’ennemie juré.

Ce soir, il va supporter la France. « J’ai grandi ici, je suis Turc mais pas nationaliste, je supporte l’équipe de France, ce pays m’a tout donné. En 2018, j’ai fait la fête quand la France est devenue championne du monde ». Si la Turquie a gagné le match aller -2 à 0, le 8 août dernier-, c’était seulement « une flamme, un one shot ». Et le contexte  -la Marseillaise a été sifflée-  a beaucoup joué selon lui. « C’est une honte, une insulte envers 65 millions de personnes, ce n’est pas ça, le football, il faut être respectueux ».

Yazici et Celik sont des bons gars, je les invite dans mon restaurant ! ils viennent quand ils veulent.

Ces derniers temps, deux joueurs turcs font les beaux jours du Losc, Yusuf Yazici et Zeki Celik. « Yazici est intelligent, il suit l’actualité du monde, il lit, il défend les pauvres. Il a un bon cœur. C’est un humaniste, ça fait plaisir. Il défend la liberté et la fraternité, il est humble. Il est comme monsieur tout le monde ». Bulent confie qu’il se reconnait en ce joueur, turc et adopté par la France, par Lille. Celik, c’est un modèle pour Bulent. « Il est Kurde, comme moi, c’est un bon gars. Des amis sont allés le voir au stade et ont pu discuter avec lui, il est accessible ». Il confie qu’il aimerait à son tour les rencontrer, qu’ils viennent à son restaurant, manger, discuter avec lui. Ils ont un rôle important à jouer, surtout auprès des jeunes. « S’ils font quelque chose de bien, ça sera reproduit par les jeunes, mais s’ils font des erreurs, il en sera de même ».

Si les rencontrer serait un honneur, Monsieur Demir a, par le passé, déjà eu un invité de choix. Le destin fait bien les choses : c’est le champion du monde, ex-joueur lillois et maintenant défenseur du … Fenerbahce, Adil Rami, qui a  dégusté un de ses kebabs. « Il a débarqué ici grâce à une amie, quand il jouait à Lille. Il est venu, il a mangé un kebab et il est reparti. Quelques années plus tard, il est devenu champion du monde ».

Si vous aussi, vous êtes champion du monde ou plus simplement fan de football, n’hésitez pas à venir supporter votre nation autour d’un repas turc, au Palais d’Istanbul, 175 rue de Colbert à Lille.

Clément Doucet
Notre invité en quelques dates :

1973 : Naissance de Bulent Demir

1999 : Arrivé en France

2010 : Ouverture du Palais d’Istanbul