Mathias Isaac-Gracchus

Rap francophone : apprendre à se lasser ?

« En suivant aveuglément les grandes tendances (…), les albums les plus orientés vers le grand public soulèvent de moins en moins l’enthousiasme des auditeurs. » En novembre dernier, le Mouv’ lançait un pavé dans la mare. Et comme cette étendue d’eau calme, le rap devient plat. Comment renouveler le genre ? Faut-il se tourner vers les plus petits artistes ? Nous avons profité du concert du rappeur lillois Antharesss pour nous intéresser à la scène lilloise. 

C’est un vendredi soir venteux que nous retrouvons Antharesss (Antha pour les intimes), stressé mais prêt pour son concert au Base Camp. Ce bar, l’un des nombreux installés rue Masséna, est plein. Tout le monde est prêt pour le voir grimper les quelques marches qui le mènent à la scène, où il commence son premier couplet avec hargne. Le public le suit dans son énergie et c’est parti pour plus d’une heure de rap lillois. Durant sa prestation, il est rejoint sur scène par trois invités : Sagito, Icaar et Syndrøm. Ils font partie de la nébuleuse lilloise, une scène rap en pleine expansion depuis quatre ans environ. 

Une fois le concert terminé, la pression de la scène redescend, et celle dans les pintes également. 

Tout le monde vient pour le féliciter, les invités sont également applaudis. A fur et à mesure, les groupes se dispersent. J’en profite pour aller lui demander comment s’est passé « C’était kiffant de faire ça pour la première fois à l’extérieur, je n’avais que devant des proches en soirées. Ça change. L’évolution est grandissante pour tout le monde à Lille. Tout le monde ici se pousse vers le haut. » raconte-il. « Cette scène a mis du temps à percer. Dans les années 2010, le seul artiste qui avait une visibilité en France, c’était Gradur. On a dû attendre un long moment avant de voir d’autres têtes émergées » se souvient Antharesss. « Il doit y avoir un renouveau, que les artistes essayent de trouver de nouvelles sonorités, il faut expérimenter. » déclare Antharesss. « Aujourd’hui, il n’y a pas qu’un seul style de rap comme au début. Mais tout ce qui se fait de nos jours a déjà été vu et revu. Il faut trouver un nouveau souffle. On pourrait penser au rock comme autre source d’inspiration, ça ne me déplairait pas ! » ajoute-il en souriant. « Il faut toujours se remettre en question et changer sa propre vision de l’art et ne pas s’enfermer et faire la même recette en boucle. » souligne-t-il.  

Les têtes d’affiches que sont Bekar ainsi que Ben PLG sont des étoiles montantes en France et ne cessent de confirmer leur statut en apportant de la nouveauté à chaque nouveau morceau.  

L’écriture, un créneau à prendre pour les nouveaux rappeurs. 

C’est bien l’inverse que l’on reproche au rap francophone : ne plus être original. Beaucoup de rappeurs importants ont signé en maison de disque et doivent se plier aux exigences de l’industrie. Ils utilisent en boucle la recette qui les a vu jouir d’une visibilité et reconnaissance. Préférer le quantitatif au qualitatif avec des refrains construits pour plaire aux algorithmes des réseaux sociaux.  

Pour contrer cette pression imposée émergent des sonorités plus originales. Des nouvelles sources d’influence, comme la musique antillaise par exemple. Et au delà des sons, les artistes doivent aussi retrouver la musicalité des mots. « Je trouve qu’il n’y pas d’artistes qui écrivent si bien que ça. » souffle Nathan Barbier, vidéaste rap lillois. « Bien écrire ne coûte pas cher, et en France, le public y est attaché ! » s’exclame-t-il. « Pour sortir son épingle du jeu, il faut arriver avec une personnalité originale. De nos jours, il existe tellement d’artistes que l’on n’identifie pas clairement car beaucoup trop génériques. » 

Nathan a lui aussi contribué au rassemblement de la scène lilloise en produisant un mini-album Ligne 1 avec des artistes 100% d’min coin comme Madass, Syd Garett, Gormho et Saft. Quatre rappeurs qui s’expriment en chœur sur le refrain du titre éponyme du projet « 4 heures de studio à République, L-I-2-L-E obliger tu cliques ». 

Des petites scènes de jeunes rappeurs à Bekar qui remplit en décembre dernier l’Aéronef, la scène rap lilloise se développe à toutes les échelles. Après Marseille, Paris et la Belgique, Lille pourrait bien devenir un nouveau bastion du rap francophone.