Love, Peace and Graff

Marina, alias Lady Alézia, est l’une des 6 membres actifs du collectif Renart. Circonflex Mag l’a rencontré pour parler avec elle de sa passion pour le graff.

Il est 15 heures, pas un nuage ne vient troubler le bleu de l’air lorsque nous retrouvons Alézia, rue de la Monnaie, en plein centre du vieux-Lille. Elle nous emmène dans un café en terrasse, pas loin du musée de L’Hospice Comtesse, pour que le temps d’un thé, nous visitions son univers.

L’origine du nom que s’est choisie la jeune femme, c’est tout un symbole. Un symbole lié à l’histoire et au temps. Elle raconte que quand elle s’est lancée, un ami lui a soumis l’idée de ce pseudo, Alézia. Tout de suite, ce nom a fait écho par la signification qu’elle lui a accordé : la Bataille d’Alésia, cet épisode de l’histoire des Gaulois, où Vercingétorix préféra jeter les armes plutôt que d’entrainer son peuple vers la mort. Son nom témoigne des valeurs qu’elle a choisi de prôner : la paix et la liberté.

Unity, Love, Peace and Having Fun

Marina est passionnée par les Arts Visuels. Le graffiti a trouvé naturellement sa place. Très vite, il est devenu son champ de prédilection. « Chaque génération a de nouvelles techniques, des formes d’art qui apparaissent avec elle, explique-elle. Celle de mes parents écrivait des messages politiques au pinceau, la mienne a vu naître le graff avec le Hip Hop. ». Que représente cet art de la rue pour Lady Alézia ? « C’est un acte impétueux qui évolue en contemporanéité avec son temps. » . La première génération de graffeurs à laquelle elle s’identifie prônait les valeurs du Hip Hop américain, Unity, Love, Peace and Having Fun. Des valeurs qu’elle continue de suivre aujourd’hui.

Un univers très masculin

Pour Marina, le monde du graff reste un milieu totalement ancré dans un univers très masculin. Lors de ses débuts, elle reconnait qu’elle s’autocensurait. « Je ne m’autorisais pas à créer des œuvres avec des oiseaux, des fleurs ou des motifs féminins » nous confie-t-elle. C’est certainement en partie parce qu’à l’époque, il y avait peu de repères féminins. Issue d’un milieu qui lui a donné une éducation stricte, elle a caché pendant longtemps sa passion à ses parents, jusqu’au jour où un quotidien local a édité une de ses œuvres. L’acceptation de son travail par sa famille a été le catalyseur de l’affirmation de son style.

Taguer, c’est quelque chose de viscéral

Qu’est-ce que je veux faire de ma vie ? Cette question que chacun se pose au moins une fois au cours de sa vie, Alézia y a répondu : « Je veux parler, transmettre quelque chose. On a du temps qui nous est donné. Comment vais-je m’en servir pour transmettre quelque chose ? ».  Elle décrit aussi l’ambiance collégiale qui l’a accompagnée dans sa quête d’identité artistique. « Pour nous, graffeurs, taguer est quelque chose de viscéral. En passant tout ton temps avec des amis qui peignent comme toi, tu évolues en même temps qu’eux. »  Cette ambiance digne d’une culture à part entière lui a permis de trouver sa personnalité.

Jouer avec le temps, la calligraphie et l’alphabet : c’est le mantra de la jeune femme. Elle aime emprunter des mots – qui ont la plupart du temps une connotation positive-  à d’autres rappeurs, à d’autres artistes. En réalité, son amour pour les mots et les lettres est tellement fort que dans chacun de ses travaux, elle dissimule les 26 lettres de l’alphabet derrière des dates et des heures. Les messages qu’elle fait passer à travers la thématique du temps font écho à sa volonté de ne pas gâcher le sien. Elle affirme que l’essentiel de son travail n’est pas qu’il soit vu, mais qu’il conserve la substance originelle du graffiti, c’est à dire « un acte que l’on réalise sans la permission de quelqu’un, en extérieur, et sur un mobilier qui ne nous appartient pas. ». C’est d’ailleurs pour cela qu’elle travaille à la bombe seulement lorsqu’elle sort de son atelier.

Sauver ton rêve

On lui demande de choisir une œuvre qui l’a marquée. Elle nous parle d’une fresque qu’elle a peinte à Lomme en juin 2019. On y voit une femme qui tient une plume dans une main et un oiseau dans l’autre. Elle y a intégré la phrase Ton devoir réel est de sauver ton rêve. Cette citation d’Amedo Modigliani transmet un message profond : chacun est seul face à son devoir de liberté. Et c’est pleine de joie qu’elle partage avec nous le souvenir des enfants qui s’arrêtent devant sa fresque pour y chercher les lettres qu’ils venaient d’apprendre.

Alézia n’est pas seulement une artiste indépendante. Avec le Collectif Renart, elle cherche de nouveaux engagements, notamment pour trouver un moyen de créer en recyclant. Le groupe s’est donc associé avec d’autres jeunes pour trouver des moyens de recycler les bombes de peinture usagées en carrés d’aluminium, qui pourraient servir de nouveaux supports. Car l’écologie est un enjeu qui touche cette idéaliste. C’est avec une touche d’espoir qu’elle nous parle de meilleures solutions pour l’avenir de son art. Elle raconte aussi l’antagonisme qu’elle perçoit dans la production de ses œuvres. « Je peins des fleurs et des oiseaux avec des matériaux toxiques » nous explique-t-elle. Quoi qu’il en soit, c’est à l’avenir qu’elle laisse l’opportunité de trouver d’autres méthodes pour pouvoir « rendre à l’oiseau l’arbre avant la cage ».