Une vie sur les chapeaux de roues.

         Comme chaque année, la foire de printemps est de retour à Lille jusqu’au 8 mai. Une foire aux nombreux attractions tenues par des familles de forains. Circonflex Mag a rencontré Anaïs, 32 ans, propriétaire de la friterie, qui a gentiment accepté de nous expliquer comment se déroulait la vie des forains, avec ses avantages et ses inconvénients.

Le métier de forain, c’est un choix ou un héritage ?

C’est en partie un héritage. Avec ma famille, nous possédons la friterie de la foire, et depuis plusieurs générations, nous parcourons le Nord Pas de Calais et la Normandie. Mais notre communauté nous laisse généralement le choix de reprendre l’affaire familiale ou de partir dans une autre voie. Dans la plupart des cas, et selon mon expérience personnelle, ce n’est pas une contrainte d’être forain. C’est une fierté et une passion. Quand on baigne dedans depuis toujours, on ne veut pas quitter ce monde. (Rires) On a ça dans le sang.  

Même si c’est votre quotidien depuis toujours, la vie de forain impose un rythme particulier. Quels en sont les principaux inconvénients ?

On est tellement tributaires du temps ! S’il pleut ou s’il fait du vent, on ne travaille pas, quand bien même les manèges sont installés, et que tout est prêt. On dépend de la volonté des gens. Les mairies non plus ne sont pas toujours partantes. Il leur arrive d’annuler notre venue, même si on a l’habitude de monter la foire chez eux depuis des siècles. Dans ce cas, pour nous, c’est un sacré trou dans le calendrier et un gros manque à gagner. Nous sommes tributaires de beaucoup de choses… Et puis on vit à 100 à l’heure tout le temps, mais bon, est-ce vraiment un inconvénient ? Je ne sais pas…

ON FAIT CE QUE L’ON AIME

On imagine qu’il y a tout de même des avantages à cette vie si vous-même et votre famille, par exemple, n’avez jamais voulu en changer.

Oui, bien sûr, et bien plus d’avantages que d’inconvénients (rires) ! Ne serait-ce que le fait d’être indépendants, qui nous donne plus de liberté que la majeure partie des autres métiers. On fait ce que l’on aime, voyager, rencontrer des gens, voir le sourire sur le visage des plus jeunes comme des plus âgés. C’est un vrai plaisir.

Vous parliez tout à l’heure de vos revenus, vous ne dépendez de personne d’autre pour gagner votre vie.

Nous sommes effectivement complétement indépendants. Nous créons nos sociétés comme quelqu’un qui ouvre son entreprise, c’est la même chose. Nous sommes donc maîtres de nos revenus, Notre chiffre dépend des foires que l’on va faire et des conditions dans lesquelles elles se déroulent. Il y a donc forcément des moments où il est plus compliqué de joindre les deux bouts. Une foire comme celle de Lille, par exemple, nous permet normalement d’équilibrer une mauvaise saison.

Comment avez-vous vécu la période du Covid, vous qui êtes commerçants et dépendez étroitement de la clientèle ?

Cela a été compliqué, même si nous avons eu des aides de l’État. Nous étions au chomage partiel.  Le plus dur, ce n’était pas nécessairement le côté financier ni la situation psychologique dans laquelle nous nous sommes tous retrouvés. Nous sommes habitués à bouger de ville en ville, à voir du monde, à communiquer avec le public. Et cela n’a pas été possible durant ces trois confinements. 

Vous ne pouviez plus vous déplacer ?

Non, comme tout le monde. Avec ma famille, nous avons la chance d’être propriétaires d’un terrain, nous avons pu nous y installer pendant cette période.  Mais d’autres forains et gens du voyage n’ont pas eu cette opportunité, ils ont un peu galéré pour trouver un endroit ou rester. Certaines mairies ont été très conciliantes et ont laissé les forains se poser sur des terrains dédiés à cet effet, mais cela n’a pas été le cas pour tout le monde.

A plus long terme, cette période a-t-elle eu des répercussions sur votre métier ?

Tout à fait. Certains forains, durant le confinement, ont pu exercer leur activité sur des terrains. Ils ont ouvert des baraques à frites, à hot dog, et ont gouté au confort de la vie sédentaire.  Quelques-uns ne sont plus repartis sur les routes.

NOTRE COMMUNAUTÉ EST MISE EN LUMIERE SUR TIKTOK

Avec ces voyages incessants, comment vos enfants vivent-ils leur scolarité ?

En maternelle et en primaire, un bon tiers des enfants de forains suivent leurs parents, ils vont de ville en ville et passent donc d’écoles en écoles. Les autres vont en pension, c’est un peu triste mais cela leur permet d’avoir une éducation adaptée et de pouvoir se concentrer correctement pour faire leurs devoirs. Au niveau du collège et du lycée, il reste toujours une minorité d’enfants qui suivent leurs parents, mais c’est beaucoup plus rare.  Moi par exemple, de 12 ans à 18 ans, je suis allée en pension pour nomades. Je ne le regrette pas, même si c’est parfois compliqué de ne pas voir sa famille tous les jours quand on est enfant.

Vous avez prononcé le mot nomade. On fait souvent l’amalgame entre gitans, roms, forains, voyageurs, manouches etc.…  Pouvez-vous nous expliquer ce qui  différencie les forains que vous êtes des autres catégories de nomades ?

La principale différence, c’est que nous sommes des forains de métier. Ainsi, nous ne logeons pas sur des endroits non-autorisés, nous avons des terrains réservés par la mairie des villes qui nous accueillent. Nous n’avons pas non plus de jargon à proprement parler, comme les gitans ou les manouches, même si certains mots ou expressions nous sont propres. Nous sommes Français, nous parlons français, tout simplement.

Votre point commun, c’est seulement la notion de voyage ?

Il est vrai que nous voyageons comme ces autres nomades et que nous vivons en caravane du fait de nos nombreux déplacements mais nous ne partageons ni la même culture, ni les mêmes valeurs. Pas non plus de règles qui ne s’appliquent qu’à nous, pas de loi érigée par nous et pour nous, comme c’est souvent le cas pour les autres catégories de nomades. Il y a un monde entre nous.

 Cet amalgame que les gens font parfois vous dérange ?

Absolument.. Le stéréotype du nomade, au caractère violent et sanguin nous déplait car ce n’est pas du tout le cas chez nous. Nous faisons en sorte, même si l’on ne s’entend pas avec tout le monde, de faire que les choses se passent bien. C’est comme un petit village chez nous : on ne s’aime pas forcément, mais il n’y a pas de guerre.

Votre communauté est très médiatisée en ce moment, notamment sur les réseaux sociaux. Qu’en pensez-vous ?

En effet, notre communauté est mise en lumière, notamment sur le réseau social TikTok. On se rend compte qu’il y a des gens qui nous soutiennent vraiment, qui n’appartiennent pas à notre communauté, mais nous aiment justement pour ce que l’on est. Avant, on parlait peu de nous, juste pour annoncer les dates de l’installation de la foire. Maintenant, on s’intéresse à nous et ça fait plaisir. On ne peut pas plaire à tout le monde, mais si les commentaires sont constructifs, moi, ça me va. Quand je vois sur le compte TikTok de ma sœur qui fait des vidéos à quel point les gens nous suivent, je me dis qu’on a peut-être un peu redoré l’image que les gens ont des forains.