C’est dans un petit café vintage en plein cœur de Lille que Juline nous a donné rendez-vous, carnet noir sur la table. Pour une fois, elle s’apprête à raconter sa vie et non celle des autres. Car c’est là tout le cœur de son métier : écrire pour les autres. Juline Jourdain est écrivaine public et biographe. Une “prête-plume” comme elle aime à le dire.
Juline a toujours eu un goût prononcé pour les mots et les rencontres. Après des études de lettres et de sciences de l’éducation, elle a pris le large, s’engageant dans des ONG à l’étranger. Là-bas, au contact des gens, elle a compris la force des histoires de chacun. « À chaque fois que je rencontrais des gens, j’avais l’impression que si on écrivait leur histoire, peut-être qu’ils pourraient se rendre compte à quel point leur vie est magnifique, » confie-t-elle. À son retour en France, elle décide de poursuivre son idée : elle veut devenir la plume de ces vies ordinaires.
« J’aime la réalité »
Pourquoi écrire la vie des autres plutôt qu’aller vers la fiction ? La question lui tire un sourire. « Parce que j’aime bien la réalité, répond-elle simplement. C’est le côté social qui me plait. » Mais peu de gens connaissent le métier de biographe personnel. Alors Juline doit se rendre visible, expliquer son rôle. « Je fais beaucoup de pédagogie, pour dire : « j’existe ! ». »
Son travail commence par une rencontre. « Il y a deux cas de figure : soit une personne âgée qui veut transmettre son histoire de vie, soit quelqu’un de plus jeune qui a vécu une expérience forte et veut la partager. On établit des entretiens biographiques, je les écoute, et je retranscris mot par mot. La matière obtenue est brute, je veux rester fidèle à ce qu’on me confie. »
Écouter pour s’adapter
Juline a appris à écouter sans juger. C’est pourquoi elle s’adapte au besoin de chacun, ajustant son approche. « Certaines personnes racontent des choses difficiles mais me disent dès le départ qu’elles ne veulent pas qu’on s’apitoie sur leur sort. D’autres, au contraire, cherchent à libérer leur douleur. Mon rôle est d’adapter l’écriture à la manière dont elles souhaitent que leur récit soit perçu. » Les livres qu’elle crée sont souvent destinés à la sphère intime : « Certains veulent transmettre leur histoire à leurs enfants, d’autres au grand public. L’écriture est alors différente ».
Mais confier des fragments de sa vie à une inconnue demande du courage. Pour instaurer la confiance, Juline prend soin de cadrer ses entretiens. « Je rappelle les choses évidentes mais importantes : on peut ne pas tout dire, on peut faire des pauses, on a le droit d’oublier quelque chose. » L’écriture se fait souvent thérapeutique. « Il y a toujours beaucoup d’émotions. Il n’y a pas si longtemps, un monsieur de 90 ans m’a dit : « finalement, j’ai réussi ma vie”, lorsqu’on a terminé de raconter son histoire. C’est une très belle récompense. »
Mais quand on lui demande si elle pourrait écrire sa propre biographie, Juline sourit : « Je le ferais de façon chronologique, avec des fragments de souvenirs. J’aime bien quand on ne comprend pas toujours tout, quand on perd un peu le lecteur. Peut-être que c’est une façon d’en garder un peu pour moi aussi » glisse-t-elle en riant.
« Tous les récits méritent d’être racontés »
Aujourd’hui, Juline réfléchit à l’orientation de son travail. Elle a constaté une différence notable dans la manière dont les hommes et les femmes la sollicitent. « Ce sont plus souvent des hommes qui me contactent. Ils pensent que leur histoire est légitime, passionnante, et n’hésitent pas à négocier mes tarifs. Les femmes, elles, me demandent d’abord si je serais intéressée par leur récit. J’aimerais subtilement orienter mon discours pour que les femmes s’autorisent davantage à raconter leur histoire. Tous les récits méritent d’être racontés. »
C’est en nous livrant sa vision des choses que Juline clôture notre entretien : « Même dans les histoires les plus sombres, il y a toujours quelque chose de beau. Car l’humain cherche toujours un sens à ce qui lui est arrivé. »