Des groupes d’étudiants la clope au bec : une scène banale, mais qui ne devrait idéalement plus l’être. A l’occasion du mois sans tabac, rencontre avec le docteur Yannis Psonka, spécialiste en tabacologie à l’Institut Cœur Poumon de Lille.
Qu’avez-vous à dire sur la consommation de tabac des étudiants ?
Un quart de la population française consomme du tabac de manière régulière, et les étudiants représentent une bonne partie de cette population fumeuse. C’est dans cette tranche d’âge que s’installe souvent la consommation de tabac. Ces chiffres sont en diminution ces dernières années. L’objectif, c’est d’arriver à une génération non fumeuse. L’argument le plus efficace pour réduire le tabagisme reste indéniablement le prix, surtout lorsqu’on parle d’étudiants.
Le tabagisme a-t-il selon vous un impact plus important lorsqu’on est jeune ?
Consommer du tabac comporte des risques plus importants quand on est jeune, parce que cette dépendance s’installe plus rapidement et plus fortement. Le cerveau est encore en maturation, les récepteurs cérébraux sont donc très sensibles. En termes d’impact sur la santé, la durée d’exposition au tabac joue un rôle énorme. Elle est plus importante que l’intensité d’exposition. Fumer peu pendant 20 ans aura des effets plus importants que fumer à un rythme soutenu sur une période de 5 ans. Certains patients qui commencent à fumer très jeunes, parfois vers l’âge de dix ans, peuvent souffrir de pathologies respiratoires très avancées et d’un vieillissement prématuré des poumons.
La période des études semble très propice au début d’une consommation de tabac, avez-vous une explication à cela ?
Lorsqu’on est jeune, on se pense immortel ! On ne pense jamais que l’on va attraper un cancer, c’est un truc de vieux. Les études, c’est une période durant laquelle nos cercles sociaux changent : on est éloigné de notre famille, parfois isolé. Partager un comportement, c’est un facteur qui favorise l’intégration dans un nouveau groupe. Certains étudiants expliquent leur consommation par ses effets sur le stress, la solitude. Malheureusement, la cigarette ne soulage pas ces problèmes. Au contraire, le manque de nicotine engendre ces comportements. La pression extérieure et l’image que l’on veut donner de soi jouent aussi un rôle. Le tabagisme s’installe plus rarement une fois que l’on est adulte.
“Personne n’a envie de regarder son addiction en face.”
Beaucoup d’étudiants consomment du tabac sans pour autant s’avouer dépendants. Une consommation sans addiction est-elle possible ?
La définition d’une dépendance, c’est la perte de la liberté de s’abstenir. Le tabac, bien qu’il soit mieux perçu, induit une dépendance physique plus forte que l’alcool, la cocaïne ou le crack. Mais cette dépendance est moins marginalisée. Quelqu’un qui boit ou qui se drogue présente des symptômes physiques ou sociaux très forts, qui tendent à le placer à l’écart de la société. Ce qui n’est pas le cas du tabac. Le tabagisme est une réelle maladie, une addiction qui demande une prise en charge sérieuse. Elle amène aussi une forme de déni, surtout chez les jeunes. Personne n’a envie de regarder son addiction en face. La plupart sont persuadés de pouvoir arrêter dès qu’ils le souhaitent. Malheureusement, c’est rarement le cas.
Que pensez-vous de la cigarette électronique, de plus en plus populaire ces dernières années ? Ses effets sont-ils aussi néfastes que ceux de la cigarette ?
Le souci principal, c’est qu’on manque de recul et donc de données sur les effets de ces puffs. Certes, elles sont assez efficaces pour aider à l’arrêt de la consommation de cigarette classique. Mais elles présentent aussi un risque cardiovasculaire, même s’il est nettement moins conséquent que celui du tabagisme classique. C’est un outil de transition relativement efficace si on en fait une utilisation logique. Au CHU, nous en proposons à nos patients à condition de suivre un protocole d’utilisation cohérent avec leur plan de sevrage tabagique.
Quels sont les objectifs et les attentes concernant la consommation de tabac des jeunes générations à venir ?
L’objectif des campagnes de sensibilisation, c’est la dénormalisation du tabac. Il faut passer d’un tabagisme banal à un tabagisme pointé du doigt, qui isole l’individu. Il y a déjà eu des progrès : par exemple, fumer dans un restaurant est interdit. Le but, c’est d’avoir une génération fumeuse à moins de 5% en 2032.
“Rester seul avec son tabagisme n’est pas une solution”
Que conseillerez-vous aux jeunes étudiants qui se trouvent dans une situation d’addiction et ne parviennent pas à s’en sortir par eux-mêmes ?
Demander de l’aide, tout simplement. Tous les professionnels de santé – les médecins, les dentistes, les kinés, les sages femmes les infirmières – peuvent prescrire des substituts nicotines. Il y a aussi les consultations de tabacologie, notamment au CHU. Le numéro d’aide -3989- est disponible et peut initier ou orienter des suivis. Rester seul avec son tabagisme, ce n’est pas une solution. Arrêter de fumer, c’est compliqué, surtout lorsqu’on attaque cette démarche sans accompagnement. Les tentatives de sevrage qui échouent sont fréquentes et extrêmement décourageantes.
Le CHU a-t-il mis des choses en place à l’occasion du mois sans tabac ?
L’unité de tabacologie est une petite unité, elle est composée de deux médecins et deux infirmières. Nous participons aux campagnes du mois sans tabac, tout comme à la journée sans tabac le 31 mai. Notre but, c’est d’informer : nous avons des stands sur l’ensemble du CHU pour des informations et des consultations flashs. A titre personnel, je donne des cours et je participe à des conférences sur les effets du tabagisme et les possibles prises en charge. Le mois sans tabac reste avant tout l’occasion de prendre conscience de son addiction et d’avoir le déclic qui lance le sevrage.