Entre art et inclusion, la culture ballroom s’impose à Lille

Culture underground née dans les quartiers populaires de New York, la ballroom a conquis peu à peu l’Europe et s’impose aujourd’hui à Lille. Rencontre avec Nathan, danseur et membre de la scène ballroom lilloise, pour comprendre ce mouvement où s’expriment fierté, créativité et originalité.


Circonflex : Si tu devais présenter la culture ballroom à quelqu’un qui n’en a jamais
entendu parler, comment la décrirais-tu ?
Nathan : La ballroom, c’est une culture urbaine qui existe depuis les années 20,
mais qui a vraiment émergé dans les années 70 aux Etats-Unis, principalement dans
les quartiers populaires du Bronx, de Harlem et du Queens. À la base, elle a été
créée par des femmes latino-américaines et noires transgenres, pour des femmes
trans et racisées. Elles en avaient marre de perdre face aux femmes blanches et
cisgenres dans les concours de beauté, dans un contexte d’inégalités et de
discriminations. Elles ont donc décidé de créer leurs propres compétitions, avec leurs
catégories : Face (vendre son visage), Runway (défiler comme un mannequin) ou
encore Realness, une catégorie pionnière qui permettait d’être perçu comme « cispassing » dans la société hétéronormée.

: Est-ce que les compétitions ont évolué avec les années ?
: Dès les années 70, d’autres catégories se sont ajoutées : vogue fem, sex siren,
fag out, hands performance… La ballroom reste une culture underground,
popularisée dans les années 80 avec Madonna et son titre Vogue, puis plus tard
avec Beyoncé. Aujourd’hui, elle s’est ouverte, même si elle reste avant tout une
culture portée par des minorités, enracinée dans la lutte et l’expression de soi.

« Le but de la ballroom, c’est d’embrasser sa singularité »

: Comment as-tu découvert cet univers ?
: J’ai découvert la ballroom grâce à un ami qui m’a emmené à un Ball. Ça m’a tout
de suite parlé. Le but, c’est d’embrasser sa singularité : plus tu es unique, plus tu es
valorisé. J’ai vraiment intégré cette culture en rejoignant la scène locale quand je suis
arrivé à Lille.

: Et justement, quelle place la ville de Lille accorde-t-elle à cette culture ?

: Il y a de la curiosité ! Lille, c’est une ville étudiante, ouverte, très queer et
diversifiée. Beaucoup découvrent la ballroom via les réseaux, des clips ou des
émissions comme Drag Race. Cette curiosité est plutôt positive.

« Madonna et Beyoncé ont apporté de la reconnaissance, mais aussi de la confusion »

: Comment différencier l’inspiration d’ une appropriation qui peut parfois être
problématique ?
: À partir du moment où c’est une culture underground, il y a forcément de
l’appropriation. Madonna ou Beyoncé ont apporté de la reconnaissance, mais aussi
de la confusion. Résultat : beaucoup de gens utilisent les codes sans réellement
connaître l’histoire. Les réseaux sociaux amplifient encore le phénomène,
transformant des expressions du lexique ballroom : Slay, no shade, ovah, en simples
tendances, mais très souvent détachées de leur histoire. C’est difficile à combattre
car c’est récent et peu de gens connaissent les racines de cette culture.
: Est-ce que la ballroom est un espace de refuge et de sécurité pour ces
minorités ?
: Tout à fait. La ballroom, c’est clairement une safe place, un espace de refuge et
de sécurité pour des personnes trans, racisées ou queer. 

« La culture du ballroom s’ancre durablement à Lille »

: Comment imagine-tu son évolution à Lille ?
: La scène ballroom lilloise s’impose peu à peu, c’est vraiment grâce à Soraya, une
pionnière en France, qui a amené et relancé cette culture à Lille en mars 2024. En
organisant des trainings, des workshops, en ouvrant des salles et en invitant des
figures parisiennes, elle a permis à la ville de se construire une vraie identité
ballroom. Aujourd’hui la culture du ballroom s’ancre durablement ici.

: Si quelqu’un veut découvrir le voguing à Lille, par où commencer ?
: Le mieux, c’est d’abord assister à un ball. C’est la meilleure introduction possible.
Les speakers expliquent tout pour familiariser les nouveaux. Pour aller plus loin :
suivre Lille Ballroom Scene ou Soraya sur Instagram.  Tout au long de l’année, il y
aura des balls, des functions et des workshops. Cet été, le Ball organisé par Vinii
Revlon a d’ailleurs marqué un vrai tournant pour la scène lilloise.

Champ lexical de la Ballroom :

  • Fem queen : femme trans.
  • Butch queen : homme gay.
  • Cisgenre : personne dont l’identité de genre correspond au sexe assigné à la
    naissance
  • House : communauté choisie, inspirée des maisons de coutures.
  • Ball : événement ou compétition où les participant.es défilent dans différentes
    catégories.
  • Fag out : se lâcher, s’exprimer sans retenue.
  • Hands performance : performance sur les mouvements expressifs des mains.
  • Slay : briller, impressionner.
  • No shade : Manière de dire les choses sans critiques.
  • Ovah : exceptionnel.
  • Sex siren : catégorie de ball célébrant la sensualité du corps
  • Panel : groupe de juges, souvent des fem queen chargées de noter les
    performances.
  • Cispassing : le fait d’être perçu comme cisgenre pour une personne
    transgenre
  • Tens : points attribués par les juges pendant un walk.
  • Tchop / Battle : affrontement performatif entre deux participant.es.
  • Vogue fem : style de danse emblématique de la ballroom.

Eléa Delbet