Cette année, Circonflex Mag ouvre un bureau à Canterbury. Philippine, notre correspondante, y raconte son quotidien, ses rencontres, bref sa vie d’expat’.
Dans mon aventure anglaise et lors d’une énième balade citadine, j’ai eu la chance de tomber sur le Café St Pierre. Très frenchie non ? Pas étonnant ! Ce petit bout de France est tenu par Michel Piquet, un Français expat’ à Canterbury depuis 1995. Rien que ça. C’est en savourant une baguette (sandwich dans une baguette, ndlr) et une bonne scioche que j’ai rencontré le propriétaire.
Au premier regard, ce fut le coup de foudre. On ne peut résister à Michel, sa moustache et son petit accent so French ! On entre dans son café, et l’on est en France, à Paris, en plein cœur du Marais (oui, on peut être posh (aka bobo, ndlr) et addict à la bonne bouffe).
À Paris, déjà à l’époque, si tu ne parles pas une autre langue, tu ne trouves pas de travail
Pour l’histoire, on repart le 3 avril 1976, arrivée officielle de Michel sur les côtes anglaises. Notre hôte nous raconte qu’après s’être débarrassé de l’armée, il décampe, direction la capitale française, pour trouver un travail dans l’hôtellerie. “A Paris, déjà à l’époque, si tu ne parles pas une autre langue, tu ne trouves pas de travail dans ce milieu”, confie t-il. Le rêve parisien part en fumée. Il prend son baluchon et s’élance à la conquête de l’île du Nord.
Ce bon vivant, après différents CV expédiés par voie postale, plonge au coeur de Londres. C’est à bord de La Croisette, un restaurant français de poissons, qu’il embarque. “Tous les établissements français se connaissent dans cette ville !”, constate vite le bonhomme. Insatisfait de ne pas vraiment être en immersion british, il décolle pour l’Irlande.
La paie était misérable et au bout de 6 mois, je suis revenu en Angleterre
“Là-bas, j’ai travaillé dans un resto italien sans voir l’ombre d’un Français ! La paie était misérable, au bout de 6 mois, je suis revenu en Angleterre” s’amuse Michel. Mais cette expérience lui a permis d’apprendre la langue de Shakespeare, sésame indispensable pour la suite…. Cinq années passent, l’établissement où il travaille s’écroule, il est temps pour Michel de sauter le pas. Il ouvre avec sa femme son propre restaurant. Il s’appellera La Plume de Ma Tante . “Etrangement, c’est la première phrase que les Anglais apprennent à dire en français. Quand nos professeurs nous faisaient répéter “my tailor is rich”…”, se souvient le bon vivant (“Brian is in the kitchen” pour le XXI° siècle, ndlr).
Tout n’étant jamais tout rose, sa fille déclare un asthme à l’adolescence. Le couple, soucieux de la santé de sa rejetonne, prend une décision radicale : la famille au complet quitte la capitale pour la campagne du Kent. A Canterbury, justement, des murs sont à céder. Novembre 1995, le Café St Pierre pointe le bout de la baguette !
En plein dans la peopleitude !
Depuis 24 ans, c’est peu dire que le lieu s’est constitué une armée de fidèles ! On le remarque lors de notre entrevue, le café ne désemplit pas. “On fait des baguettes (sandwichs avec une demi baguette comme base, à ne pas confondre avec club sandwich, la précision est à faire en Angleterre, attention ! ndlr), des quiches, des croissants (sucrés et salés) et autres gourmandises françaises suivant les saisons », énumère fièrement l’expat’. Il enchaine : “on importe des produits français uniquement ! Délice de France, ouvert par Philippe Signolet, un copain, nous fournit toute la marchandise”. Pour info, ce fameux copain a le monopole de l’importation de produits frais et surgelés français en Angleterre. Il est comme ca, notre Michel, en plein dans la peopleitude !
Ce n’est pas sans fierté qu’il l’ajoute, il a été invité à deux reprises, lors des rencontres entre Emmanuel Macron et Theresa May en 2018. “Imaginez-moi dans ce genre de réception… Avec les autres invités, on se demandait pour quelles raisons j’avais atterri ici” s’exclame t-il. En vérité, il nous apprend que cette invitation mondaine provient du programme Les Voisins, créé en 2017 par Prince William pour l’entente cordiale entre la France et l’Angleterre. A l’ouverture du programme et pour le faire vivre, Michel raconte qu’il fallait de belles histoires. Il leur a raconté la sienne.
Notre célébrité locale est désormais un habitant à part entière de Canterbury. Tellement apprécié de ses concitoyens qu’un anonyme a payé £5,000 pour qu’il serve de modèle au “cook” des contes de Canterbury de Geoffrey Chaucer, dont une statue se dresse au coeur de la ville. Pas mal pour un papy frenchie !
Personnalité forte, rire gargantuesque, générosité à revendre. Et voilà pourquoi les habitants de Canterbury ont la possibilité de s’apercevoir que les Français ne sont pas seulement d’affreux pédants. Le hasard fait toujours bien les choses : si la fille de Michel n’avait pas feint son asthme pour échapper aux cours de sport du collège, jamais la petite famille Piquet n’aurait atterri dans ce bout de paradis !
On ne voudrait d’ailleurs pas vous spoiler, mais Michel n’est pas le seul Français expat’ ici. On a ouïe dire qu’une chocolatière tout ce qu’il y a de plus frenchie avait établi ses quartiers dans le coin. Stay tuned !