Une vie de souffrance

Malgré de nombreuses plaintes déposées auprès des forces de l’ordre, une jeune femme humiliée, violée par le père de ses enfants, vit encore sous la menace de son ex-conjoint. Elle raconte son histoire, à mots couverts. Elle est celle de milliers de femmes, victimes de violences conjugales.

La trentenaire flotte dans sa longue robe fleurie, qui révèle ses épaules marquées de brûlures, stigmates d’une longue destruction : « Je suis marqué au fer rouge. »
De son mariage, elle ne garde que des traumatismes. Ceux d’une femme amoureuse, sous emprise psychologique, isolée et battue, accoutumé par le père de ses enfants à évoluer dans la douleur, la peur et la honte pendant près de dix ans. Les coups ont cessé après leur divorce. Mais les violences morales et psychologiques se sont intensifiées. « Je ne serai jamais libre ».

À 18 ans, l’étudiante se laisse séduire. Il a une dizaine d’années de plus qu’elle, partage les mêmes centres d’intérêts, est « charismatique, brillant, drôle ».« Personne ne s’était jamais autant intéressé à moi. Il me trouvait joyeuse, pure, différente. Il se montrait rassurant, compréhensif, aimant et souvent bouleversant car marqué par une enfance difficile : il se sentait seul, avait tourné le dos à sa famille. » Le couple emménage ensemble six mois plus tard à une centaine de kilomètres de leur entourage. « On n’avait besoin que de l’autre ». Là, enfermée dans l’appartement, elle met fin à ses études, à ses projets de carrière, à sa vie sociale. « Il réclamait ma présence jour et nuit, me suppliait de ne pas travailler, de ne pas l’abandonner ».

J’étais conditionnée.

Un matin d’été, alors que la jeune femme passe le portail, la taille cintrée dans une robe légère, son compagnon l’entraîne à l’intérieur, la saisit par les cheveux, la jette sur le sol et lui fend la lèvre supérieure d’un coup-de-poing. Pour la première fois. « Il disait que je transpirais le sexe, il me traitait de pute prête à donner mon corps à tous les hommes, habillée vulgairement pour les attirer, pour le détruire, pour le tromper. »
En cinq ans, la jeune femme se marie et met au monde deux enfants. « Il a refusé de me partager, devenant incontrôlable dès leur naissance : pour un plat trop chaud, par exemple, il collait mes mains aux grilles du four et si je m’y opposais, il cassait la vaisselle, les meubles, me giflait, me crachait dessus ». À chaque agression, qui peut durer plusieurs heures, elle espère « que c’est la dernière ». « Mais j’étais conditionnée, entrée dans un mécanisme de survie ».
La mère de famille, privée de sécurité affective et culpabilisée, tolère  les coups qu’il appelle punitions. « Si j’étais désobéissante, il m’enfermait dans le noir, toute la nuit, nue. Le lendemain, il me violait. J’avais l’impression d’être réduite à un animal, avec lequel il pouvait s’amuser à sa guise ».

Si tu parles, je vous bute.

Coincée dans le silence, la jeune femme est piégée dans cette relation. Dépendance affective. Dépendance financière. « Je ne pouvais plus me passer de celui qui me manipulait, me fascinait et me paralysait ».La mère de famille, tabassée plusieurs fois par semaine devant ses enfants, finit par minimiser les violences conjugales. « J’avais tout à la fois honte d’être restée, d’envisager de partir, de priver mes petits de leur père. Le pire, c’est que quand il n’était pas sous tension, il redevenait l’être aimé ».

La jeune femme est régulièrement traînée en pleine nuit hors de son lit, maintenue avec force par le cou jusqu’à l’étranglement. « Ce soir-là, mes cris ont réveillé l’aîné qui a appelé les gendarmes et a couru pour m’aider. Il a voulu le frapper. Je l’en ai empêché. » A l’arrivée des secours, l’agresseur reste impassible. « Il m’a avertie : si tu parles, je vous bute ». Des hématomes recouvrent ses bras et le sang coule de sa bouche. « Il a affirmé que c’était un accident, personne n’a vérifié ».
Elle s’enfuit quelques heures plus tard avec ses enfants, une petite valise sous le bras.

On ne peut pas être violée par son mari, Madame !

Libre, la mère de famille, cachée chez des proches, fait constater ses blessures par un médecin. « J’avais les côtes fêlées, les pommettes cassées, encore la marque bleue des doigts sur l’avant-bras et autour du cou. ». Cela fait 10 ans qu’elle hésite. Cette fois ci, elle se rend à la gendarmerie afin de déposer plainte pour coups et blessures ainsi que pour viol conjugal. Face à l’officier, elle témoigne notamment des sévices sexuels pratiqués par son ex-conjoint. La seule réponse qu’elle reçoit de la part de l’officier la  pétrifie: « On ne peut pas être violé par son mari, Madame ! »
Entre-temps, l’agresseur la harcèle par téléphone, sur les réseaux sociaux, la suit en voiture et lui prédit « une mort lente », si elle ne revient pas. « Pour les gendarmes, il n’était pas envisageable d’empêcher, pour rien, un citoyen de circuler sur la voie publique. Il devait m’agresser encore pour pouvoir être sanctionné ». Elle précise alors : « Mais ils m’ont suggéré de bien réfléchir avant de lancer des accusations aussi graves, sans preuve, contre le père de mes enfants ». Un discours « décourageant, culpabilisant et intimidant ».

Depuis cinq mois, la jeune mère a déposé plusieurs mains courantes et de nombreuses plaintes. Classées sans suite. « La justice estime que je ne suis pas en danger. »