Jean-Pierre, un homme vrai

Mercredi dernier, la télévision française et bien plus encore, perdait l’une de ses figures les plus emblématiques. Jean-Pierre Pernaut, mythique présentateur du journal de 13h sur TF1, a succombé à un cancer à l’âge de 71 ans. Circonflex a recueilli le témoignage d’un de ses collègues et amis de plus de 20 ans, Sébastien Hembert.

« Ça m’a choqué terriblement ». C’est vers 17h, environ une demi-heure avant que l’annonce ne parvienne aux médias, que Sébastien Hembert a appris le décès de son ami. Journaliste pour TF1 depuis 2000 et rédacteur en chef du bureau régional de la chaîne depuis 2004, c’est tout naturellement qu’il s’est lié d’amitié avec son homologue picard. Partageant tous deux leur amour de leur région nordiste et la convivialité qu’elle induit, c’est avec le sourire aux lèvres qu’il se remémore les bons moments passés ensemble. « En mai dernier, quand il est venu dîner à la maison, on a passé une soirée extraordinaire. Il fait partie de ces gens du Nord qui ont un cœur énorme et qui ont juste envie d’être avec les autres et de ne pas se prendre la tête. Avec lui, on a mis la marmite au milieu, servi la carbonade, les frites, bu une bière et c’est tout. On n’a pas mis les gants blancs, l’argenterie avec serveurs et compagnie. C’était pas Jean-Pierre ça. On mangeait juste ensemble un bon plat régional, en se racontant nos histoires et en rigolant. C’était vraiment un pote. »

Un homme vrai, sincère, farouchement amoureux de la France et de ses régions

Un ami, considéré comme tel par beaucoup de gens qui ne le connaissaient pourtant qu’à travers le spectre de leur télévision. Et pour cause, « le Jean-Pierre Pernaut présentateur du journal de 13h à 13h40 était exactement le même homme que le Jean-Pierre Pernaut en dehors du plateau », avoue Sébastien Hembert. « Non pas un présentateur de télévision comme un autre, un homme tronc, mais un homme vrai, sincère, farouchement amoureux de la France et de ses régions, et qui présentait un journal à son image ».

Il a inventé un journalisme qui se pratique aujourd’hui partout

Son format de reportages, très axé sur la France profonde, les gens que l’on voit peu et que l’on entend peu, et son patrimoine, il l’a monté de toute pièce. Arrivé à la présentation du JT de 13h en 1988 pour quelques mois seulement, Jean-Pierre Pernaut s’installe finalement et décide de renverser la table. Le journal était à l’époque fait à Paris et par des parisiens. Les correspondants en région n’existaient pas. Très institutionnel et propre sur lui, il ne parlait pas des « vrais gens » et ne racontait pas la France. Il explique alors à la direction de la chaîne son intention de décentralisation. Mais pas question pour TF1 d’ouvrir ses propres bureaux et d’embaucher des journalistes dans les régions sans savoir si cela allait plaire. En réalité, la plupart des journalistes étaient à l’époque contre ce type de journal. Jean-Pierre Pernaut décide donc de signer des contrats avec la presse quotidienne régionale, qu’il connaissait bien puisque Le Courrier Picard a été son premier employeur. Des contrats sont alors signés dans les grandes villes comme à Lille avec La Voix du Nord ou à Marseille avec La Provence. Très vite l’audience est arrivée, et le JT de TF1 a dépassé celui d’Antenne 2. De 4/5 bureaux, la chaîne est passée à 17 aujourd’hui pour 150 journalistes en régions, soit autant qu’à la rédaction principale à Boulogne-Billancourt. « Il a inventé un journalisme qui se pratique aujourd’hui partout » affirme Sébastien.

Un Français sur deux allumait sa télévision le midi pour le regarder

Et le moins que l’on puisse dire est que Jean-Pierre Pernaut a eu du flair. Pendant longtemps, son journal faisait quasiment 50% de parts de marché. Près d’un Français sur deux allumait sa télévision le midi pour le regarder. « Aucun présentateur de télévision dans le monde n’obtient un score comme celui-ci. Ça n’existe pas ! » Vers la fin, les audiences avaient un peu baissé et tournaient plutôt autour de 45% mais même ce score était énorme. À titre de comparaison, le journal de 20h, qui est pourtant le premier de France, fait 28% de parts de marché. « Des mecs qui ont marqué à ce point l’histoire de la télévision, ça se compte sur les doigts d’une main. »

Et justement, quand on demande à Sébastien Hembert – qui a travaillé pour lui pendant plus de 20 ans – comment était perçu de l’intérieur le travail avec ce ferme défenseur du terroir, il répond : « travailler avec Jean-Pierre, c’était simple ». Beaucoup plus accessible qu’un PPDA ou qu’une Claire Chazal par exemple, les correspondants en régions pouvaient lui parler directement et même lui suggérer quelques modifications sur la forme des reportages si le fond en valait la peine selon eux. Pour autant, bien que craintif du changement comme ses collègues, il nous confie avoir été content lorsqu’en décembre 2020, Jean-Pierre Pernaut prend sa retraite du 13h. « Il fallait qu’il s’arrête pour profiter un peu de la vie. C’est très éprouvant de présenter un journal. On ne se rend pas compte puisque le journal n’est que le moment où l’on met en musique tout ce qui a été préparé auparavant mais pendant 30 ans, Jean-Pierre s’est levé tous les matins à 5h30 pour dépiauter la presse, écouter la radio et être en tension toute la matinée. »