Marjorie Deruwez : bergère en ville

Marjorie Deruwez est bergère depuis 15 ans. Accompagnée de ses chiens, elle dirige son troupeau comme un maestro ses musiciens. Mais Marjorie n’est pas une bergère ordinaire : elle est bergère en ville. Circonflex Mag l’a rencontrée.

A la Citadelle de Lille, le troupeau de Marjorie migre d’un pâturage à l’autre, encadré par ses chiens, à la fois guides et protecteurs. On lit dans leur regard un dévouement pour leur mission et tout l’amour qu’ils portent à leur maîtresse. 11 : c’est leur nombre. C’est aussi le nombre de langues qu’ils comprennent. Une équipe polyglotte, où chaque membre à sa spécialité : hindi, espéranto, arabe, créole, espagnol… Ces Border Collie sont de vrais experts, à l’image de leur maîtresse. Les mots que Marjorie utilise pour distiller ses ordres sont comme la baguette d’un chef d’orchestre. Et le troupeau, un banc de poissons qui danse.

Entre éclaircies et averses, le troupeau se regroupe ou se disperse et Marjorie discute avec les passants. Adultes curieux, enfants émerveillés : elle n’hésite pas à les laisser rentrer dans la pâture pour faire connaissances avec les chèvres, les brebis et les agneaux. Les enfants marchent et gambadent, tels des requins au milieu des bêtes qui s’écartent et se rapprochent harmonieusement, comme un banc de barbus.

D’un œil aguerri et averti, Marjorie veille sur ses bêtes. Nous pourrions avoir l’impression qu’elle est seule avec ses chiens et son troupeau, rêveuse. Mais ici, à deux pas du centre-ville, elle est entourée d’autres personnes et c’est ce qu’elle apprécie.

 

Vivre son rêve d’enfant

 

« Je veux faire cela depuis que je suis née. » Et rien ne l’en a empêché. Originaire du Nord, elle commence par être institutrice durant 5 ans. Mais elle veut vivre son rêve d’enfant, devenir bergère. Elle y est parvenue. Elle est actuellement en train de relire le livre L’Alchimiste de l’écrivain Paolo Coelho, qui conte l’histoire d’un jeune berger qui vit dans les montagnes avec ses brebis et qui souhaite vivre ses rêves. Marjorie ne serait-elle pas la version moderne de ce berger de littérature ? On le lui demande, et elle répond qu’elle en a toutes les caractéristiques. Comme lui, elle a tout d’abord commencé par devenir bergère en période d’estive, en emmenant ses bêtes paître dans la nature et les grands espaces solitaires.  Mais le contact humain lui manquait cruellement. C’est pour cette raison qu’elle s’est posée la question suivante : « pourquoi ne pas faire cela en ville ? »

 

Les loups urbains

 

La ville implique plus de danger qu’on ne l’imagine : entre les routes, les véhicules, les vélos, il faut savoir mener ses bêtes. Dans les montagnes, deux chiens peuvent suffire à guider un troupeau, en ville, il faut en tripler le nombre. La plus grosse menace qui règne dans nos villes, ce sont ce que Marjorie appelle les « loups urbains ». Pour elle et son troupeau, les chiens que l’on croise quotidiennement en liberté dans nos parcs deviennent de vrais prédateurs : l’année dernière, un maître a laissé son husky traverser l’eau de la Citadelle. Une fois la rive d’en face gagnée, ce dernier a tué huit bêtes.

 

450 hectares de liberté

 

Lorsque la période d’estive urbaine est terminée, les troupeaux rentrent en Ardèche, là où se situent les bergeries de Marjorie. Là-bas, 450 hectares de liberté pour les 1.500 bêtes. Liberté. C’est certainement le mot qui définit le mieux le double métier de bergère d’estive et de bergère en ville. Une dualité que Marjorie a fait sienne : « je ne changerais pour rien au monde ».

 

Hippolyte Gorisse