Depuis le 30 octobre, la majorité des étudiants de Lille se sont confinés en France, certains dans leur famille, les autres sur leur lieu de résidence universitaire. Mais une petite minorité – à l’instar de Victor Hugo, qui en 1851, quittait la France pour rejoindre les îles anglo-normandes- ont rejoint Jersey. Ces îles, toutes proches de nous et pourtant si britanniques, ont accueilli des étudiants qui se sont réjouis de pouvoir rejoindre un territoire à 1h30 de la France…sans confinement imposé ! Circonflex Mag a rencontré en exclusivité Gregory Guida, député de la paroisse de St Laurent. Français émigré à Jersey et devenu récemment député, il est aussi assistant Ministre pour les Affaires Intérieures et l’Environnent. Il nous explique la gestion de la crise.
Alors que la France est confinée pour la deuxième fois, pourriez-vous nous expliquer en quoi la gestion de la pandémie dans un environnement insulaire comme Jersey est différente par rapport à un territoire continental ?
Il est beaucoup plus facile de contrôler les frontières dans une île comme Jersey: nous avons seulement un aéroport et un port commercial. Aussi, la population est constituée d’un seul bloc, sans différences régionales. La France, par sa taille, aura des zones de prévalence différentes impliquant une gestion régionale et un très difficile contrôle des voyages internes. La France doit aussi s’intégrer dans les décisions européennes en matière de transports.
Limiter les dommages globaux
Guernesey a décidé de fermer ses frontières cet été, et ce jusqu’à 2021. Si l’on compare Jersey à Guernesey, la stratégie de lutte contre la pandémie est très différente, y’a-t-il des raisons objectives à cela ? Ou est-ce simplement le résultat d’une approche différente des politiciens ?
Les gouvernements de Jersey et Guernesey ont tous les deux appliqué des stratégies obtenues par des processus « objectifs », mais aux débuts de l’épidémie, les informations vagues et incertaines permettaient facilement d’arriver à des conclusions logiques et cependant différentes. Il est aussi vrai qu’une petite mais très notable proportion de la population, dans les deux îles, poussait fort pour une fermeture totale. Je ne pourrai pas confirmer pourquoi Guernesey a choisi cette approche mais Jersey a choisi, au contraire, de s’ouvrir à l’extérieur. Notre gouvernement a décidé de « limiter les dommages globaux ». En clair, cela veut dire qu’il est, par exemple, inefficace d’essayer de sauver une vie au coût de 1 000 emplois car la perte d’autant d’emplois entraînera probablement un suicide. Un long couvre-feu empêche les gens d’attraper la Covid, mais aussi de se faire dépister des cancers qui peuvent être beaucoup plus dangereux. Cette approche s’est avérée de plus en plus justifiée au fur et à mesure que le danger de la Covid sévère décroissait.
Ne pensez-vous pas que Jersey aurait dû suivre la logique de Guernesey, en ayant une approche beaucoup plus radicale d’isolement ?
Il y avait deux problèmes avec la politique d’isolement. Le premier est l’absence presque complète de voyages internationaux. Le dommage sur l’économie (ports, aéroports, transports aériens, ferries, hôtels etc..) aurait été énorme, et dans certains cas impossible à réparer pendant des années. Guernesey en a souffert énormément.
Le deuxième est qu’il n’était pas du tout sûr que l’épidémie pouvait être réduite une fois qu’elle était arrivée dans l’île. Comme la grande majorité des cas sont sans symptômes et que la capacité de tests était très limitée, il aurait pu rester un réservoir incontrolable de contamination qui aurait continué à multiplier les cas, même après la clôture des frontières. A posteriori, il semble que la solution de Guernesey leur a permis de garder restaurants, bars et night-clubs ouverts plus qu’à Jersey qui, par contre, a permis la continuation des liens aériens et maritimes, et une petite saison touristique en échange de quelques restrictions.
1 637 cas et 32 décès
En France, beaucoup contournent le confinement et refusent de s’y plier en se retrouvant entre amis ou en refusant de porter le masque. A Jersey, lors du premier confinement en particulier, est-ce un comportement que avez aussi observé ?
Les Britanniques sont en général plus enclins à suivre les règlements que les Français. Une petite partie de la population de Jersey ne les a pas appliqués, mais en général, l’opprobre de leurs voisins est suffisant pour les remettre dans le bon chemin. Nous avons malgré-tout envoyé quelques cas à la cour de justice qui a donné des amendes de l’ordre de 1000 livres à deux ou trois délinquants.
Jersey a créé un hôpital temporaire, le Nightingale Hospital, s’est-il avéré utile, a-t-il servi ou était-ce uniquement une précaution ?
Quand l’hôpital a été construit, à grand coût, il semblait très probable qu’il fût nécessaire. Ce n’est plus le cas, mais nous l’avons conservé pour faire face à la recrudescence de cas attendue en hiver. Pour le moment, il n’a pas été utilisé du tout car notre capacité hospitalière n’a jamais été dépassée. Pour 102 000 habitants, nous avons eu jusqu’à maintenant 1637 cas de coronavirus et 32 décès.
Jersey et le Coronavirus Les îles anglo-normandes sont composées de deux baillages, dont celui de Jersey, le plus grand et le plus peuplé. Alors que le confinement sévit en France et en Angleterre, cette île a bénéficié d’un cadre de vie privilégié en cette période troublée. Jersey est un état indépendant qui ne fait pas partie de l’Angleterre mais qui entretient une dépendance autonome avec la Couronne Britannique depuis 1066 (conquête d’Angleterre). L’île est donc administrée par sa propre assemblée législative locale, et possède ainsi son propre système juridique et fiscal. Ses décisions gouvernementales sont prises indépendamment des autres pays. Pendant que le confinement sévit pour la deuxième fois en France, à Jersey, un seul confinement semble pour le moment avoir suffi. Le 29 mars dernier, un premier confinement était imposé sur le territoire jersiais, 19 jours après la première détection d’un cas positif à la covid-19 sur l’île (une femme qui revenait d’un voyage en Italie). Ce confinement aura duré deux mois, jusqu’au 29 mai. Depuis le 8 aout, toutes les restrictions sanitaires ont été levées : la distanciation sociale, l’interdiction des rassemblements de plus de 10 personnes (appelées les « bubbles » à Jersey), ou encore le port du masque ne sont plus obligatoires. L’île semble avoir retrouvé son rythme de vie et son ambiance britannique. En ce qui concerne les arrivées de passagers étrangers, Jersey a déployé un dispositif complet de gestion des nouveaux arrivants. Après la traversée via un ferry, les passagers sont directement pris en charge, questionnaire à remplir et test-covid imposé dès le passage des douanes. Les arrivants provenant d’une zone rouge doivent s’isoler 14 jours. Tous les matins, les isolés reçoivent un message du gouvernement sur leur téléphone mobile, les questionnant sur leur état actuel, et s’ils ont des symptômes particuliers. S’ils ne répondent pas à leur message quotidien, la police est susceptible de se rendre à leur domicile. Aussi, si la quatorzaine n’est pas respectée, l’individu risque une amende de 1000 livres. A la fin de ce confinement, les nouveaux arrivants peuvent sortir de chez eux et profiter de l’ambiance jersiaise.