Florent, ancien SDF, le cœur sur la main

Florent a vécu 4 ans dans la rue, à Lille. Sans domicile, sans rêves d’avenir. Aujourd’hui, à 24 ans, il sort enfin des années de galère, et a des projets plein la tête. Rencontre!

Ce matin, c’est avec un café et un croissant qu’il prend son petit-déjeuner. Une habitude peut être pour vous, lecteurs. Florent, lui, mesure sa chance : « Avant, si j’avais ne serait-ce qu’un crouton de pain par jour, c’était déjà bien. Aujourd’hui, je savoure chaque miette, en repensant à ces années terribles qui ont été la plus grosse épreuve de ma vie. »

Florent a 24 ans. C’est dans les rues de Lille qu’il a passé  4 longues années. « Je me suis retrouvée à la rue quand ma mère est morte. Je n’étais pas encore à l’Université, je prenais mon temps, j’avais toute la vie devant moi. La mort de ma mère m’a mis une sacrée baffe. Du jour au lendemain, plus de repères, plus rien. Je ne vais pas rentrer dans les détails parce que ça me fait encore très mal. Je ne veux pas que notre discussion se transforme en  séance de psychothérapie. »

 

Il n’y avait pas toujours à manger pour tout le monde

 

Florent a 19 ans quand il se retrouva à la rue.  Seul. Livré à lui même. « C’était dur, et aujourd’hui ça l’est toujours. Beaucoup moins mais ça l’est toujours. En partie parce que je vois des gens qui vivent  le cauchemar par lequel je suis passé. Ça me fait énormément de peine. Cette vie-là, je ne la souhaite à personne. »

Pratiquement tout les jours, Florent se rendait dans le local d’une association pour manger, se laver et parler : « C’était une petite note d’espoir dans mon quotidien, je remercie Dieu que des personnes comme celles-ci aient été mises  au monde. Il n’y avait pas toujours à manger pour tout le monde. Mais le simple fait de parler, d’échanger, d’être écouté, ça me faisait un bien fou. Quand on est à la rue, on est isolé, on voit des milliers de personnes passer devant nous, mais personne ne s’intéresse à nous… à de rares exeptions près.. C’est pour cette raison que  beaucoup de S.D.F fument ou boivent, pour  se réchauffer oui, mais aussi pour oublier la solitude, chercher l’inconscience pour ne pas se souvenir. Beaucoup tombent en dépression, beaucoup se suicident, mais ça, personne n’en parle. Il y a beaucoup plus grave que des personnes qui meurent de froid et de faim dans un pays démocratique, n’est-ce pas ?  »

Florent sait de quoi il parle. A 22 ans, il sombre dans une lourde dépression,  tente à plusieurs reprises de mettre fin à ses jours. Il adopte alors une chienne, dont il est sûr aujourd’hui qu’elle a été  « le remède » à sa dépression. «Cette chienne, je l’ai appelé Katara , c’était le nom de La Maîtresse de l’eau dans l’Animé Avatar, Le dernier maître de l’air. J’ai toujours adoré ce nom… C’est un Bouvier bernois, elle est trop belle. Je ne vais pas vous dire comment j’ai eu cette chienne, je risquerais d’avoir des problèmes !  Quand je me sentais mal, c’est à elle que je parlais, je lui faisais des câlins, et jusqu’à aujourd’hui, on est inséparables, c’est mon binôme. »

 

Je ne mérite pas qu’on m’éclate de rire à la gueule !

 

La solitude, c’est certainement ce dont Florent a le plus souffert après la mort de sa mère. Qui a suivi de très près, malchance du sort,  le départ de son amoureuse. «  J’ai rencontré ma copine à 15 ans. Nous sommes restés 3 ans et demi ensemble, à tout partager. Nous avons grandi main dans la main, traversé à deux les péripéties de l’adolescence.  Je l’ai trompé, elle ne m’a jamais pardonné, et elle m’a quitté” . Le souvenir est encore douloureux.  D’autant plus qu’il est associé à un épisode que Florent n’est pas prêt d’oublier :

 

“Une fois, elle est passée devant moi, pas loin de la gare, et elle m’a vu dans l’état dans lequel je ne voulais pas qu’elle me voit.  À terre, serrant le chien de toute mes forces.  Elle a mis du temps à me reconnaître. Mais elle m’a reconnu. Elle a attendu de croiser mon regard, et elle a éclaté de rire. Et elle a recommencé durant des semaines. Oui, certes je l’ai trompé, mais je mérite pas qu’on m’éclate de rire à la gueule, quoi !»

 

Tout le monde l’appelle Nounours

 

A 23 ans, enfin, Florent voit le bout du tunnel.  L’association qui l’aide régulièrement lui propose un logement social et lui trouve une formation en plomberie. « Moi, je n’y croyais  pas, 3 ans à la rue, ça semble une éternité sans fin. Je voyais enfin la lumière, c’était incroyable. Ils m’ont donc trouvé un « chez moi » et j’ai  commençé une formation de plomberie en alternance. Aujourd’hui, je touche des aides, je mange le matin, le midi, je mange le soir, j’ai Katara à côté de moi. Il ne me manque plus qu’une femme et je serai comblé ! (rires) »

Après ce long périple,  une fois la tête hors de l’eau,  Florent décide de faire du bénévolat. Il choisit une association,  l’île de la solidarité, qui agit en faveur des sans-abri. Très vite, il monte en grade. Aujourd’hui, il est devenu une pièce essentielle au sein de l’organisation. Là-bas, tout le monde l’appelle  Nounours , pour sa gentillesse et pour l’amour qu’il transmet. Il participe  aux maraudes, et est régulièrement présent à l’accueil de l’association, située à Lille, Porte d’Arras. Florent est déterminé, il veut rester dans le milieu du bénévolat, du partage et de l’amour.  Il songe de plus en plus à créer sa propre association, une fois le diplôme décroché : «  Je ne pouvais pas avancer plus loin sans avoir rendu tout ce qu’on m’a donné. Je veux faire partie de ces personnes qui mettent le sourire à tout ceux qui galèrent dans la rue.  Quand je les vois, je me vois. Je fais tout mon possible -et je ferai tout mon possible- pour les sortir de là. Je suis jeune mais j’en ai vécu des trucs …  Si je peux donner un conseil : aidez les gens, ils vous aideront en retour. »

En 2020, la Fondation Abbé-Pierre estime le nombre de sans-domicile-fixe à près de 300 000, soit deux fois plus qu'en 2012 et trois fois plus qu'en 2001. Le nombre desans-abri en France ne cesse d’augmenter, plus vite que les démarches pour les reloger.
Neyla Slatni