Connaissez-vous la friche de Saint-Sauveur ?

La friche Saint Sauveur est un espace unique en France : 23 hectares de terrain en friche, en partie boisé. Tandis que les projets d’urbanisme se succèdent, et face au bétonnage programmé, la résistance s’organise. Circonflex Mag retrace l’histoire de ce lieu exceptionnel.

La friche est située autour de la gare Saint-Sauveur, entre le parc Jean Baptiste Lebas, la rue Camille Guérin, la rue de Cambrai et la porte de Valenciennes. Depuis que la gare de fret a cessé son activité en 2003 et alors que la nature y reprend progressivement ses droits, des projets d’urbanisme portés pas la commune et la MEL se succèdent. Le dernier, sur les rails depuis 2013, vise la construction d’un tout nouveau quartier : logements, bureaux, espaces commerciaux, un nouveau parc et même une piscine olympique…

Face au bétonnage prévu du dernier grand espace vert de la ville, la résistance s’est organisée : associations et collectifs demandent aujourd’hui l’abandon du projet et mettent en avant des projets écologiques et citoyens ; non pas tournés vers l’attractivité de la ville mais vers ses habitants d’aujourd’hui et de demain.

 

Une histoire lilloise 

 

Il faut remonter au 16ème siècle pour bien comprendre les origines de la friche Saint-Sauveur.

A cette époque, le site actuel de la Friche appartient au faubourg des Moulins qui n’est pas encore rattaché à la ville de Lille. On y produit de la bière, de la farine, des draps et des pigments, matériaux essentiels à l’industrie textile de la région.

Avec l’arrivée de la machine à vapeur dans les années 1820, l’industrie se développe. Les Moulins sont remplacés par des fabriques, des usines. Dans la deuxième moitié du 19ème siècle, l’industrie croît considérablement à Lille : vapeur, sidérurgie, textile, chemin de fer, acier et activité brassicole sont au cœur de son expansion.

L’armée refusant d’ouvrir les remparts qui entouraient le vieux Lille depuis la Renaissance, la ligne de train s’arrêtait à Fives jusqu’en 1848. Cette même année, face à la nécessité de répondre à la concurrence grandissante des villes voisines, la gare Lille Flandres fait son apparition. En 1858, Napoléon III autorise la ville à s’agrandir. Les communes de Wazemmes, Esquermes, Moulins, Fives et Saint Maurice des Champs sont intégrées à la commune.

 

La gare Saint-Sauveur est inaugurée en 1865

 

De nouvelles fortifications sont construites dans la foulée : elles englobent la cité sur les traces de l’actuel boulevard périphérique. La ville s’agrandit et se réorganise autour d’un nouveau centre : la place de la République.

Lille se développe et il devient difficile de n’avoir intramuros qu’une seule gare de marchandises. Il est alors décidé que voyageurs et denrées périssables seraient débarqués à Lille Flandres tandis que les produits non périssables, notamment le charbon, seraient débarqués dans une nouvelle gare. Sa construction est décidée à Moulins ou le terrain est prometteur et l’immobilier peu cher. La construction de la gare Saint Sauveur débute en 1862, elle est inaugurée en 1865.

La gare est alors la porte d’entrée et de sortie des matériaux qui alimentent l’industrie de la ville. Charbon, textile, bovins, et autres matières premières en tous genres y transitent. La gare Saint-Sauveur va renforcer la présence industrielle dans le secteur. Le quartier de Moulins est alors traversé par de nombreuses usines textiles, métallurgiques et chimiques. Les riches bourgeois de la ville se font construire de grands hôtels particuliers près des courées modestes des familles ouvrières, où les conditions de vie sont très difficiles. Pour former ses jeunes industriels capitalistes, la ville crée des universités et écoles : l’Institut Pasteur, l’Académie des sciences, des arts et métiers ou encore des écoles républicaines pour les enfants des ouvriers.

 

 La gare est reconstruite au début des années 1920

 

Rasée pendant la grande guerre, la gare de marchandise est reconstruite et modernisée au début des années 1920. Elle devient essentielle à la reconstruction de la ville. Mais après la Seconde Guerre mondiale, la population augmente dans le centre-ville.  Les activités industrielles les plus encombrantes sont alors éloignées et les wagons sont triés avant de rentrer dans la ville.

Comme tout le Nord de la France, Lille subit de plein fouet la crise industrielle et pétrolière des années 1970 : les usines ferment et se délocalisent, les grèves se multiplient et le chômage augmente. L’apparition du TGV, la tertiarisation du marché du travail, la libéralisation de l’économie et les aspirations grandissantes à la construction européenne amèneront la signature de l’accord transmanche en 1986 entre la France et le Royaume-Uni. La ligne à grande vitesse relie Paris et Londres en passant par la future gare Lille Europe. C’est autour de cet espace situé entre l’actuelle gare Lille Europe et la porte de Valenciennes que va se mettre progressivement en place le projet Euralille. Le périphérique est déplacé, permettant à l’immense chantier de se mettre en route. Le quartier actuel, froid et triste, soumis aux vents, au trafic automobile et aux pollutions atmosphériques et sonores, nous le connaissons bien. L’activité de la gare Saint-Sauveur étant saturée, son trafic est transféré au centre de fret international Delta 3 à Dourges.

 

Un projet alternatif

 

Aujourd’hui, l’espace de 23 hectares est au cœur d’une bataille politico juridique de grande ampleur. Alors que des élus ont programmé sa transformation et parlent de piscine olympique, de Métropole Européenne et d’attractivité économique, des habitants et des associations se mobilisent en faveur d’un projet alternatif , autour de motivations écologiques mais aussi citoyennes et démocratiques. Aujourd’hui, le parc en friche est partagé entre différentes activités et publics en tous genres : la gare Saint-Sauveur, espace culturel bien connu des Lillois. La friche, où les rails et le béton sont progressivement remplacés par la nature, n’en déplaise à certains. Les habitations précaires, où les conditions de vie sont particulièrement difficiles et les aides de la MEL et de l’État particulièrement absentes. On y croise des étudiants qui profitent de la vue imprenable depuis le Belvédère. Des militants et associations (Amis de la Terre Nord, ASPI, Entrelianes, Fête la friche, PARC, etc.) qui s’approprient l’espace et viennent en aide à ses habitants. Mais aussi des artistes grapheurs, des sportifs, des cultivateurs de potagers (en herbe ou au niveau avancé) ou tout simplement des curieux. Cette ancienne gare a été et reste un formidable lieu de passage.

Histoire industrielle, actualité culturelle, politique d’urbanisme de la commune, habitants précaires, inaction de la MEL et de la ville, insalubrité, pollution atmosphérique, réchauffement climatique… Autour de la friche gravitent aujourd’hui un nombre important de sujets d’actualité, essentiels pour comprendre mieux notre ville et notre région.

 

Célestin de Séguier