Lanceuse d’alerte

Parler, c’est quelque chose que Sandrine Rousseau, connue pour être à l’origine de l’Affaire Baupin, n’a cessé de faire ! Fervente défenseuse des droits des femmes et du droit à mourir dans la dignité, fondatrice de l’association Parler, nous la retrouvons dans CirconflexMag à l’occasion du 25 novembre : la journée internationale pour lutter contre les violences faites aux femmes.

Circonflex Mag : Au cours de votre vie, vous avez défendu la libéralisation de la parole des femmes, revendiqué le droit à mourir dignement et dénoncé le réchauffement climatique, d’où vous vient cette envie de justice et de vérité ?

Sandrine Rousseau : « Je ne sais pas, c’est quelque chose qui m’anime depuis que je suis petite. J’ai soif de justice, je veux qu’elle s’applique à tous et pour tous ! En plus, je pense qu’il faut qu’il y ait des personnes qui se lèvent contre ces injustices, sinon elles perdurent. Il y a une responsabilité individuelle et collective face à celles-ci. »

 

« Cette photo m’a fait l’effet d’une baffe »

 

En 2016, vous prenez la parole dans les médias ,à visage découvert, pour dénoncer l’agression sexuelle dont vous avez été victime par Monsieur Baupin. Cela n’a pas dû être évident d’en parler ?

« Effectivement, cela n’a pas été simple, surtout que c’était 1 an avant le mouvement #MeToo. La société n’était pas complètement prête à entendre la vérité. Déjà qu’elle ne l’était pas pendant Me Too ! Alors 1 an avant, je vous laisse imaginer le choc. »

 

Quel a été le déclic de cette prise de parole ?

« Une photo ! A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, il a posé avec du rouge à lèvres en disant « Je soutiens les femmes ». Cette photo m’a fait l’effet d’une baffe, c’était impossible d’accepter ça, c’était trop, il fallait rétablir la vérité. ! Avec Elen Debost, nous nous sommes dit : « cet homme ose tout, il faut qu’on l’arrête, tout le monde doit connaître son vrai visage. »

 

Après cette dénonciation, certaines femmes sont venues vous parler de ce qu’elles avaient également vécu ?

« En effet, suite à l’enquête journalistique sortie sur Monsieur Baupin, énormément de femmes sont venues nous dire « Moi aussi, je suis une victime ». C’est assez amusant, un an avant Me Too, on entendait déjà des femmes nous dire mot pour mot : moi aussi. »

 

En octobre 2017, après la publication d’enquêtes accusant Harvey Weinstein d’agressions sexuelles, l’actrice américaine Alyssa Milano propose de partager les témoignages de femmes victimes de violences via le #MeToo, que pensez-vous de cette initiative ?

« Je n’en pense que du bien, c’est un mouvement incroyable ! Je n’aurais jamais imaginé qu’il prenne autant d’ampleur. Ce qui est fabuleux, c’est qu’avant, la libération de la parole des femmes se faisait pays par pays. Là, ça a été un mouvement international. C’est une véritable révolution !  Et c’est formidable,  je me sens sœur avec des Espagnoles, des Chiliennes…avec des femmes à qui je n’ai jamais parlé. »

 

L’affaire Baupin est considérée par beaucoup comme étant la première affaire #MeToo en France, à l’heure d’aujourd’hui, impacte-t-elle votre vie professionnelle ?

« Bien évidemment ! J’ai postulé dans certains endroits et on m’a renvoyé mon histoire à la figure.  Je suis celle qui a parlé dans l’affaire Baupin, alors il n’est pas question que j’ai ce poste. Malheureusement, ce type de discrimination n’arrive pas qu’à moi ! C’est ce qui arrive dans la vie aux femmes qui dénoncent, aux lanceuses d’alertes… »

 

« On n’a juste pas le droit de nous violer ! » 

 

En 2017, vous créez votre association  Parler  pour accompagner les victimes de violences sexuelles en organisant des groupes de parole, pourquoi ?

 « Lorsque j’ai dénoncé les violences sexuelles dont j’ai été victime, je me suis rendue compte d’une chose ! Quand on prend la parole, on est tout de suite très seule. La société se retourne contre vous, c’est un moment extrêmement difficile à encaisser. Cependant, nous, -les femmes qui ont dénoncé Monsieur Baupin- nous entraidions en parlant. Je me suis dit qu’il fallait offrir un lieu « safe «  aux victimes, où elles pourront parler et s’entraider, sans médecin, ni avocat. Juste entre elles. »

 

Comment s’organisent ces groupes de parole ?

 « Il y a une charte de confidentialité, on fait un tour de table, chacune raconte ce qui s’est passé, si elle le veut bien sûr. Ensuite, on pose une question, par exemple : « vous sentez vous coupable de ce qui s’est passé ? » A force d’échanger, on se rend compte qu’à peu près tout le monde a vécu la même chose. Alors, on se dit : ce n’est pas de notre faute !

Après tout, lorsqu’on vole votre voiture sur un parking, personne ne vous dit « tu n’aurais jamais dû prendre une voiture rouge ». Mais quand on parle de violences sexuelles, tout le monde vous renvoie l’idée que vous avez une petite part de responsabilité dans ce qui s’est passé. Toutefois, au sein de l’asso, nous sommes là pour remettre les choses à l’endroit et dire qu’on a le droit de mettre des jupes, de sortir le soir, de faire plein de choses. On n’a juste pas le droit de nous violer ! »

 

Nous sommes en plein crise sanitaire, les sessions de groupe de parole sont-elles maintenues ?

« Oui tout se passe sur l’application Zoom ! Ca marche très bien, certes ce n’est pas pareil que lorsque nous sommes dans la même pièce, mais ça donne autre chose. Certaines femmes sont plus à l’aise en présentiel et d’autres derrière leur écran. Donc, pourquoi pas, par la suite, alterner entre des réunions physiques et via Zoom. »

 

Avez-vous un dernier mot pour ces femmes victimes de violences ?

« Allez-y, parlez, on est là, on vous soutient ! »

 

Julie Benmoussa

 

ENCADRE

-8 mars 1972 : naissance à Maison Laffite

-depuis 2008 : vice-présidente de l’Université de Lille

-septembre 2009 : organise une permanence du secours populaire à l’université de Lille

-2013-2016 : Porte parole d’Écologie Les Verts

-mai 2016 : accuse Denis Baupin d’agression sexuelle

-2017 : création de l’association Parler

-2018 : ouverture de l’antenne Parler de Lille

-février 2019 : Denis Baupin débouté de sa plainte en diffamation et condamné à verser des dommages. C’est la première fois qu’un homme politique est condamné dans une affaire de violences sexuelles.

-26 octobre 2020 : déclare sa candidature à la primaire des écologistes pour les élections   présidentielles de 2022