Les deux mains sur le guidon

« La vie est prodigieusement ennuyeuse quand elle est uniforme.» Cette citation de Voltaire résume parfaitement la vie de Patrick Valcke, que Circonflex Mag eu la chance d’interviewer pour le portrait de la semaine. Sa vie se dessine entre chance et malchance, opportunités et bâtons dans les roues. Mais elle s’est forgée avec la même envie : se battre pour saisir sa chance.

« Retiens ça : dans la vie, il faut une passion, la santé, et des valeurs » S’il n’y avait qu’un seul mot à retenir de la vie de Patrick, ce serait celui-ci, les valeurs.  « J’en ai 3 : la famille et les amis ; le travail bien fait, quitte à être perfectionniste et jusqu’au-boutiste ; Et le vélo. C’est le vélo qui m’a tout donné ». Tout ? Ce mot n’est pas encore assez fort pour parler de l’importance du vélo dans la vie de Valcko, comme il se fait appeler. Tout minot déjà,  son grand père l’emmenait rouler. Il accompagnait aussi sa mère « A l’âge de 14 ans, je me levais tous les matins à 4h30 pour aller distribuer 300 journaux à vélo avec ma maman pour donner à manger à mes frères et mes soeurs ».

Je suis né dans la rue.

Il ne veut pas s’attarder sur son enfance, c’est une période douloureuse de sa vie, qu’il préfère oublier: «Je vais pas te raconter ma vie parce qu’elle n’est pas belle. Moi, je suis né dans la rue ». Et c’est justement dans la rue, à 18 ans, que sa vie débute, en essayant de s’en sortir après avoir quitté le domicile familial. Après son service militaire, il rentre chez Peugeot Vélo comme mécanicien. Il y rencontrera Stéphane Roche l’Irlandais,  58 victoires professionnelles à son actif, seul coureur avec Eddy Merckx à avoir réussi le triplé Tour de France, Tour d’Italie et Championnat du monde la même année, en 1987.

Avec le vélo, ce sont les rencontres -qu’elles soient bonnes ou mauvaises- qui ont forgé l’homme que Valcko est devenu : « Je me considère comme quelqu’un de chanceux, je suis tombé sur les bonnes personnes. T’imagine, j’ai même pas mon bac ! » dit-il en riant. Stéphane Roche lui propose de travailler avec lui. « Il avait compris qu’à deux, on pouvait faire des trucs sympas.” Il part chez Carrera, « la Sky d’aujourd’hui ». Roche lui dit : « Toi, t’es trop mariole pour rester sur la banquette arrière de la bagnole ». C’est comme ça qu’il devient directeur sportif.

Je sors l’affaire Festina.

Mais les bonnes rencontres sont souvent nuancées par les mauvaises. Aujourd’hui encore, il en garde un certain goût amer : « Malheureusement, je suis tombé sur une génération de crétins, tant pis, je cite, les  Madiot, Legeay … Des voyous, la franc-maçonnerie du vélo ». Mais il n’a aucun regret sur son parcours, « c’est aussi grâce à tous ces crétins que j’ai pu mener ma petite carrière ».

C’est encore grâce au vélo qu’il pourra se venger de ses « vieux démons » comme il les appelle : ceux qui n’ont pas cru en lui. C’est lui qui révèle « l’affaire Festina » en 1998, la première grosse affaire de dopage dans le cyclisme, qui a littéralement bouleversé le milieu de la Petite Reine. Valcko a vent des premiers éléments au détour d’une conversation avec des douaniers. En tant que consultant à la radio, il décide de sortir l’affaire : « On est en Irlande, avec une ministre des sports communiste qui veut leur rentrer dans la gueule et moi, qui suis complètement taré et qui veut me venger. Et je sors l’affaire ». Il sera même retenu comme témoin à charge : « Je me suis retrouvé au Palais de Justice de Lille avec Roger Legeay, Jean Marie Leblanc, Madiot et je leur ai dit : « Alors on n’est pas bien là ?  Je vais dire toute la vérité ! ».

Il suit Papin et démissionne du RC Lens.

L’entrevue se poursuit sur son passage au RC Lens, avec un commentaire sur son parcours -très- atypique : « De mécanicien, tu deviens directeur sportif. De directeur sportif, tu deviens consultant. De consultant, tu deviens journaliste et de journaliste, tu passes dans un club de foot, au RC Lens.  ». Il produit une émission de télévision puis monte en grade chez les Lensois : « Comme le président voit que tu fais bien ton boulot, tu deviens son homme de confiance … ».

Nous en revenons toujours aux mêmes points, les valeurs, les bonnes rencontres, celles qui se transforment en amitié et qui lui permettent d’accéder à encore plus d’opportunités. C’est le cas quand en 2008, Patrick Valcke prend la défense de Jean Pierre Papin -entraîneur du club à l’époque- qui venait de se faire remercier. Il suit Papin et démissionne du RCL : « J’ai dit à Gervais (Martel) et à Daniel Leclercq : comme je fais partie de la race des seigneurs, dans 1/2h, mon bureau est vide. Et comme je fais vraiment partie de la race des seigneurs, tu peux me payer en 2 fois. Une demi heure après, mon bureau était vide ». Il en rigole encore. Depuis, il travaille comme « agent » de Papin. Il refera une pige au RCL où il conciliera son travail d’agent et son rôle au club. Il en sortira en 2017 car il a un mauvais pressentiment sur les nouveaux dirigeants qui arrivent. Il ajoute : « Aujourd’hui, dans une société, quand tu prends 1 chèque, tu fais partie des « pas mal ». Quand tu prends 2 chèques au même patron, là,  tu commences à être un « bon ». Et si un jour, tu prends 3 chèques, là tu fais partie des « exceptionnels ». Et moi, il est pas exclu qu’un jour, je fasse partie des exceptionnels ». « C’est une vie bien remplie, nan ? » dit-il en riant et en guise de conclusion.

Je bande pour le vélo.

Ce qu’il voulait faire plus tard, quand il était enfant ? « Je pensais juste à me sortir de la merde ». Pause. Silence. L’émotion prend le dessus. Sa plus grande fierté ? « Ne jamais avoir lâché, ne pas avoir sombré. Quand tu as une vie comme la mienne, tu peux tomber dans l’alcool, tu peux devenir voleur, devenir un voyou, tu peux devenir tout ce que tu veux ».

Ses objectifs futurs se résument à sa famille et ses petits enfants « J’ai déjà réussi  une partie de ma vie en inculquant  à mes fils mes valeurs. Aujourd’hui je souhaiterais donner aussi ces valeurs à mes petits enfants ». Mais sa base, sa référence, son port, c’est sa femme : « Quand ma femme partira, je me mettrai une balle. Ça fait 40 ans qu’elle vit mes frasques, mes sauts d’humeur, mes moments d’émerveillement, mes coups de blues ». Son avenir, il le voit auprès des siens « Dans les deux ans qui vont venir, j’expliquerai à Papin et aux autres que l’heure de la retraite a sonné.

Et le vélo, dans tout ça, qu’en reste-t-il ? Sa passion chronophage, le fil rouge de toutes ces années ? « Le vélo, c’est ma vie. Je bande pour le vélo, j’adore me faire mal à la gueule. J’aime surtout la mécanique, je prends encore du plaisir à monter, à dévoiler une roue. »  Il continue de pédaler, et continuera encore un petit peu « Je vais encore faire le coureur pendant une année, jusqu’aux Championnats de France seniors. Pendant 5 semaines, tu penses que t’es coureur, tu t’entraînes bien, tu picoles pas, tu prends pas de cafés gourmands » ajoute-il en rigolant. «Et après, je serais carbo ».

Après. Seulement après. Il se l’est promis, il emmènera sa femme au lac de Garde.

Simon Prouvost