Image d'illustration : des soldats dans les tranchées

Grande Guerre et mémoire : le Nord se souvient  

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Cent sept ans après l’armistice du 11 novembre 1918, la Première Guerre mondiale continue de hanter les paysages et les mémoires des Hauts-de-France. Dans une région profondément marquée par les combats, les ruines et les pertes humaines, les stigmates de la Grande Guerre demeurent profondément inscrits dans la mémoire collective. À l’occasion de cette nouvelle commémoration, l’historienne Michèle Riot-Sarcey revient pour nous sur les traces laissées par la guerre et la place qu’elle occupe encore dans la conscience collective.  

C : Pourquoi la région a-t-elle été un territoire stratégique durant la première guerre mondiale et quelles traces la guerre a-t-elle laissées dans le paysage ?  

Michèle Riot-Sarcey : « Les ravages de la guerre sont encore visibles dans le paysage français. Dans les Hauts-de-France, le sol est marqué par les cicatrices des tranchées ayant déformé les reliefs et la terre. Ces marques sont inscrites dans le territoire et leur trace reste visible plus d’un siècle après la fin des combats. Cela évoque l’atrocité de la vie dans les tranchées et la brutalité des obus dont la déflagration a tout détruit ».  

C : Quel rapport les habitants entretenaient-ils avec le front ?  

Michèle Riot-Sarcey : La région s’est retrouvée au cœur du conflit en raison de l’instauration d’une guerre de position dès 1914. Mais les civils ont été maintenus à l’écart du front. Les autorités faisaient tout pour les écarter, les combattants avaient peu de contacts directs avec l’arrière ».  

C : Quel état d’esprit animaient les soldats qui partaient sur le front et comment ont-ils réagi face à l’horreur des combats ? 

Michèle Riot-Sarcey : « Il faut impérativement faire la différence entre le début de la guerre, où les soldats partaient « la fleur au fusil », pensant qu’elle serait courte, et la suite du conflit. Ils ont compris rapidement l’inutilité des assauts répétés et la barbarie à laquelle ils s’apprêtaient à faire face. »  

C : Et y a-t-il eu des révoltes au sein des bataillons ? 

Michelle Riot-Sarcey : « Oui, dès 1917, il y a eu des mutineries dans les tranchées. Le ras-le-bol des hommes était immense, face à des combats coûteux en vies humaines, parfois pour prendre une simple colline. Dans ce contexte, des figures comme Pétain ont été érigées en héros de guerre par les autorités, afin de restaurer le moral des troupes et maintenir la discipline alors que la gravité et les atrocités du front restaient largement tues au grand public ».  

C : À quoi a ressemblé l’après-guerre et quelle trace le conflit a-t-il laissé dans la mémoire collective ? 

Michèle Riot-Sarcey : « Après la guerre, les traces du conflit ont été très présentes et se sont manifestées à deux niveaux. D’une part, celles imposées par les autorités en érigeant les soldats en héros et en martyrs de la nation pour construire une mémoire officielle et patriotique. Et d’autre part, celles issues des témoignages de combattants souvent plus silencieux. Il existe un paradoxe assez fort entre ces deux visions.  

Les autorités ont empêché les soldats de parler pendant longtemps mais les stigmates physiques et psychologiques révélaient la violence et les ignominies auxquelles ils avaient été confrontés ».  

C : Quel a été l’impact de la guerre sur les villages et les communautés locales ? 

Michèle Riot-Sarcey : « Le nombre de morts dans les villages fut immense. Les autorités ont valorisé ce sacrifice en affirmant que les soldats étaient morts pour la France et en faisant construire des milliers de monuments aux morts mais elles ont longtemps négligé la parole et la pensée critique des combattants. Il a fallu du temps avant que l’ampleur réelle de la Grande Guerre soit pleinement comprise et que le regard porté sur le conflit évolue. Dans les petites communes, les pertes massives ont laissé un vide profond et il aura fallu des décennies avant qu’elles parviennent à se reconstruire physiquement comme socialement.  

C : Que reste-il aujourd’hui de cette guerre totale ?  

Michèle Riot-Sarcey : « Il reste aujourd’hui la prise de conscience de l’inutilité et de la brutalité de cette guerre. Les témoignages des soldats, qu’il s’agisse de lettres, de récits ou de journaux, restent saisissants et montrent l’horreur quotidienne des combats, la vie dans les tranchées, les pertes massives et la violence infligée aux hommes ».  

À la veille du 11 novembre, l’empreinte de la guerre reste profondément visible dans les Hauts-de-France, à la fois dans les paysages, dans les villages reconstruits et dans la mémoire collective. L’histoire de ces hommes et ces communautés a façonné l’identité régionale et continue d’influencer la manière dont la population se souvient et transmet ce passé. La Grande Guerre demeure ainsi un événement marquant, dont le souvenir continuera de parcourir les générations.  

Léa Bercier – Kerleveo