Circonflex a rencontré deux sœurs syriennes, Léa et Anissa*, qui font leurs études supérieures à Lille. Elles racontent leur histoire pleine d’espoir et de courage en témoignant sur le racisme qu’elles ont parfois subi.
On se retrouve dans un petit café lillois. Les deux sœurs sont discrètes. De celles qui n’aiment pas qu’on les remarque. Anissa étudie à l’IUT de Roubaix en technique de commercialisation et Léa est en licence sociale. Très volubile, elle raconte leur histoire. Sa sœur, Anissa, est un peu plus réservée.
« De notre vie en Syrie, on n’a que très peu de souvenirs ». Ou du moins, ce sont des souvenirs de jeunes adolescentes ébranlées par la guerre. Mais une image leur revient en tête. Le jour où elles ont failli mourir. « On s’est fait tirer dessus en Syrie, on a cru qu’on allait mourir. Tout le monde criait, pour nous c’était la fin. Ce moment, je n’en avais encore jamais parlé… ». Toute la famille décide alors de quitter la Syrie pour la Jordanie, pays limitrophe. « Maman avait encore l’espoir qu’on puisse revenir chez nous après la guerre ». Ils n’y sont jamais retournés. La famille est restée 20 jours dans un taxi en attendant d’avoir le droit de résider en Jordanie.
« C’est le destin qui a choisi notre destination, aucune étape de notre voyage n’était prévue »
Très vite, il faut quitter la Jordanie. Leur père s’est fait attraper par les autorités : il travaillait au noir pour gagner un peu d’argent. Direction le Brésil : « Le pays distribuait des visas de travail ou de tourisme, on a saisi cette opportunité et on est partis ». À son arrivée, la famille comprend vite qu’elle ne va pas rester longtemps. « Après avoir vécu la guerre, ce que l’on cherche avant tout, c’est un lieu où l’on se sent en sécurité » explique Anissa. C’est vrai que les conditions de vie au Brésil ne sont pas optimales, que ce soit au niveau de la sécurité ou de l’accès à l’éducation. Un jour, on leur parle de la Guyane française. La famille réfléchit et décide de repartir. « C’est le destin qui a choisi notre destination, aucune étape de notre voyage n’était prévue à l’avance », se rappelle Léa. Après plus de 48 heures de périple – bus, taxi, bateau- ils entrent sur le sol guyanais. Léa se souvient qu’un crocodile a failli renverser leur embarcation lorsqu’ils ont traversé le fleuve !
« Chacun respectait la foi de l’autre »
Les études, c’est primordial pour les parents des deux filles. Léa a déjà 18 ans et Anissa 17 et « c’était non négociable que l’on arrête nos études », soulignent les filles. La famille prend contact avec l’évêque de la ville, les deux sœurs sont inscrites au lycée catholique. Léa se souvient avec émotion de la tolérance dont ont fait preuve toute l’équipe enseignante et les élèves. « Chacun respectait la foi de l’autre et on a même fait du catéchisme ! ». Pourtant, au début, ça n’a pas toujours été facile : « certaines personnes nous ont associées au terrorisme. C’était simple d’avoir peur de nous, on était différentes, on portait le voile. » Les sœurs ont trouvé la parade. « On souriait tout le temps pour qu’elles aient moins peur. Petit à petit, le dialogue s’est installé. » Elles se sont faites des amis, avec lesquels elles correspondent toujours.
« Oui, je porte le voile. Mais ça ne justifie rien »
« Parfois on se rappelle en rigolant qu’en arrivant en Guyane, on savait seulement dire bonjour en français. » Après les trois années de lycée, le bac en poche, les sœurs prennent la direction de Lille. Elles ont été acceptées sur Parcours sup. Avec la boule au ventre de devoir tout recommencer à zéro. « Heureusement qu’on était toutes les deux ! »
Anissa et Léa en sont certaines, « on a fait le plus dur, plus rien ne peut nous atteindre vraiment ». Pourtant, l’intégration est plus difficile à Lille qu’en Guyane. Depuis leur arrivée, les deux sœurs peinent à se faire des amis. Anissa ne trouve pas de stage pour valider sa deuxième année d’IUT : « c’est bizarre, lorsque j’enlève la photo de mon CV, celle où je porte mon voile, on m’appelle. Alors que si je la garde, personne ne répond à ma candidature. ». Léa, elle aussi, regrette certains regards, certaines attitudes qui l’ont blessée.
« Il y a quelques jours, j’étais dans la rue, je téléphonais à l’une de mes amies. En arabe, je lui racontais la vie lilloise, et lui montrais des bâtiments en vidéo. Des policiers m’ont interpellée, en me disant qu’il était interdit de les filmer… Ce que je ne faisais pas ! J’ai dû raccrocher avec mon amie, donner mon identité, sous menace d’être emmenée au poste. C’était la première fois depuis la Syrie que des policiers m’arrêtaient…». Sa voix tremble. « Oui, je porte le voile. Mais ça ne justifie rien. »
Avec le COVID, les filles n’ont pas vu leur famille depuis deux ans. Pour combler ce vide, elles ont décidé de s’engager dans des associations lilloises, la Croix Rouge, La Cimade. « Un sourire que l’on donne où que l’on reçoit, ça fait plaisir, ça rend la vie plus belle, on oublie les souffrances », conclut Léa. Et c’est surement ça, la solution. Sourire à la vie en respectant l’autre, sans préjugé.
*Les prénoms ont été changés pour conserver l’anonymat des deux sœurs.