“C’est ça que tu veux”

Dylan, c’était un mec plutôt gentil au départ. C’était mon seul ami en troisième. Quelqu’un de tactile et de proche. Protecteur et attentionné. Entre lui et moi, il n’y avait rien de plus que de la simple amitié. A cette période-là, je cherchais à me sentir entourée, rassurée. Je cherchais une oreille attentive. Je pense que toutes les filles de mon âge recherchent ça.

Je ne connaissais rien des relations de couples, des relations qui gravitaient autour de la sexualité. J’étais naïve. J’ai commencé à découvrir mon corps le jour où Dylan m’a demandé de lui envoyer des photos dénudées. Il était très insistant et il trouvait toujours les mots justes malgré mes “non” incessants. Un jour, j’ai cédé. Je pensais qu’il allait me laisser tranquille après ça. Et puis j’avais besoin de me sentir rassurée sur mon corps.

Je me rappelle très bien de cette première photo. C’était la nuit, il était à peine 23H00. J’étais dans ma chambre et j’ai pris ce premier cliché de moi en sous-vêtements. Sa réponse ? Elle reste très vague dans ma tête. Je me rappelle d’un message gentil et bienveillant.
Après ça, on s’est vu près de chez moi, dans un parc. Je n’avais prévenu personne, je suis sortie de la maison. J’étais assise derrière les arbres avec lui. Nous étions seuls. On s’est mis à se taquiner, se chamailler, se pousser. Puis il m’a collé au mur et m’a maintenue. Il a commencé à me toucher. Ce jour-là, je n’avais pas dit “oui”. Ce jour-là, j’étais encore jeune et naïve. J’avais les larmes aux yeux et je l’ai laissé faire. J’étais incapable de dire quoi que ce soit, j’étais comme tétanisée. Ça a duré quelques minutes, mais c’était certainement parmi les minutes les plus longues de ma vie. Ma mère, inquiète de ne plus me voir à la maison, m’a trouvée au parc. J’avais honte. Ma mère n’a trop rien dit. Elle m’a juste fait comprendre la gravité de la situation. Je cherchais un coupable car pour moi, Dylan n’en était pas un, je ne voulais pas reconnaître ce qui s’était passé. Avec du recul, ce n’est pas la réaction que j’attendrais de ma mère aujourd’hui.

Je devais avoir 13 ou 14 ans. Et j’ai continué de lui parler. J’avais peur. Peur parce qu’il m’avait touchée. Peur parce qu’il avait vu mon corps. Peur parce que dans ma vie, il n’y avait que lui. J’étais seule face à lui et mes souvenirs. Je ne voulais plus qu’il me touche. Mais il avait trouvé mon point faible : je n’avais pas confiance en moi. Je n’avais pas de définition du vrai amour à cet âge. C’était le premier et seul homme à qui je plaisais. J’avais l’impression d’être aimée, il me complimentait, il me semblait bienveillant.

Et puis il y eu quelqu’un d’autre. Quelqu’un qui se faisait beaucoup remarquer dans ma classe. J’étais attiré par ce genre de personne : je savais qu’en étant proche de lui, on allait faire attention à moi, que je me sentirais exister pour la première fois. Je suis passée par Dylan pour me rapprocher de Marc. Ça a marché. Il m’a demandé le même type de photos que Dylan. Il a insisté tout comme lui. Je ne voulais pas le perdre et à cause de Dylan, je pensais que c’était la norme. J’ai donc décidé de céder et de lui envoyer une nouvelle photo. J’étais devant la glace chez mes grands-parents, et j’ai pris cette photo de moi après la douche. Ça n’a pas duré plus de 5 minutes. Je lui ai envoyée et sa réaction, comme celle de Dylan, m’a aussi fait penser à de la bienveillance. Il me complimentait. On est alors rentrés dans une forme de jeu : je lui envoyais des photos, il m’en envoyait en retour. Pour moi, c’était ça, être aimée.

Lors d’un voyage de classe -je ne sais plus où nous étions allés- sa sœur jumelle est venue me voir. Elle m’a demandé si c’était vrai que lui et moi, on s’envoyait des photos de ce type. Elle me répétait qu’elle n’en parlerait pas. J’ai dit la vérité. Quelques jours plus tard, Marc a envoyé toutes mes photos sur le groupe de la classe. Nous étions à la fin des vacances de Pâques je crois. Son excuse, c’était que sa sœur en avait parlé à ses parents. Il souhaitait se venger. Je ne le savais pas encore mais j’étais en train de vivre un Revenge Porn.

Au début, j’ai été dans le déni, je n’ai pas voulu croire ce qui se passait. Je n’ai donc pas ressenti d’émotions sur le moment. Mon second réflexe a été d’en parler à mes parents. On m’a laissé entendre que c’était de ma faute, et donc mon problème. Nous étions à une fête de famille, c’était la communion de mon cousin. Je ne pouvais pas fuir, je ne pouvais que garder en moi mes émotions, ma crainte, ma honte et ma peur.

Je suis sortie du déni quelques jours plus tard. Soit j’assumais, soit je niais. J’ai décidé d’assumer car les photos étaient là, je ne pouvais rien y faire. J’étais piégée. Le jour de la rentrée, je suis arrivée avec un stress immense.

Dans le bus, j’ai parlé avec ma copine de ce qui se passait, et c’est là que j’ai appris que ma petite sœur d’un an de moins que moi avait partagé ces “Nudes” dans son collège. J’avais juste envie de vomir. Encore aujourd’hui, ça me dégoûte et notre lien fraternel reste endommagé. C’est avec ça en tête que j’ai fait mes premiers pas dans la cour. Je devais affronter le regard des gens qui m’avaient probablement tous vue. Je voulais fuir. Je me rappelle ces quelques personnes bienveillantes qui ont essayé de me faire comprendre que je n’étais pas en tort, que c’était l’inverse. Mais je ressentais tout de même en eux une forme de jugement.

Chaque jour jusqu’à la fin de l’année, j’ai reçu des messages de garçons de mon collège qui me demandaient le même type de photos. Certains menaçaient d’envoyer celles déjà publiées à d’autres gens en guise de moyen de pression. J’ai cédé pour certains…
Pendant les grandes vacances, à cause des réseaux sociaux, ça ne s’est pas arrêté.

A la rentrée scolaire, un garçon nommé Théo m’a contacté sur les réseaux. Il avait vu mes nudes. On s’est parlé, et on a voulu se rencontrer. Il est venu chez moi. On s’est retrouvé dans la salle de bain pour je ne sais plus quel prétexte et il m’a dit de lui faire une fellation. Je ne savais pas comment faire, et puis je ne voulais pas le faire. Mais il m’y a forcé. Je ne lui ai jamais dit oui, mais ma sœur était dans la pièce voisine, je craignais pour elle, j’ai cédé sous sa pression. Je ne me souviens plus de ce qui s’est passé ensuite, je me souviens juste qu’il m’a pénétrée sans mon consentement. Je ne souhaite pas développer plus sur le sujet.

L’année de ma seconde s’est plutôt bien déroulée. Il y avait de nouveaux lycéens. La plupart d’entre eux ne savaient pas ce qui c’était passé. J’ai rencontré un nouveau garçon. Il s’appelait Jean. Très vite, il a voulu avoir des rapports sexuels. On a commencé une amourette. Mes parents étaient contre, du coup, quand j’allais le voir, c’était en cachette. Et un soir, vers 1h du matin, je suis partie de chez moi pour aller le rejoindre. Son frère et son cousin sont venus avec lui pour me chercher en voiture et nous sommes allés dans l’appartement de son cousin. Ils m’ont fait boire, j’avais 15 ans. Jean m’a emmené dans la chambre et il a voulu que je lui fasse plaisir. C’est à ce moment que son frère est rentré. Il nous a vus. Ils sont sortis et m’ont demandé d’attendre dans la chambre. J’ai entendu cette phrase qui résonne encore dans ma tête, elle venait de la voix de mon copain, et il disait “c’est ça que tu veux ?”. Et puis son frère est venu et m’a forcée à lui faire une fellation. Il m’a ensuite pénétrée. J’étais alcoolisée, j’avais peur, j’étais enfermée dans une chambre, entourée de trois hommes, sans aucun moyen de m’échapper et n’ayant prévenu personne de là ou j’étais. J’étais tétanisée. Je pensais que mon calvaire était terminé, mais son cousin est entré et m’a fait la même chose. Mon copain s’y est mis également. Ils sont ensuite revenus à trois. Je n’ai pas la force de raconter la suite.

Jean a partagé des nudes de moi sur les réseaux sociaux. Cette histoire a donc pris beaucoup d’ampleur. Il y a 1 an, j’ai appris qu’un compte Twitter avait été ouvert : une personne utilisait mes photos pour récupérer de l’argent. Le compte Twitter avait plus de 40K abonnés. J’ai décidé de porter plainte, cette dernière n’a malheureusement jamais abouti malgré toutes les preuves apportées au dossier. Finalement, depuis peu, le compte a été suspendu temporairement par Twitter pour donner suite à des manquements au règlement de la communauté.

Vivre avec ces souvenirs-là, ça reste très difficile. Les accepter m’a pris beaucoup de temps. Je suis marquée à vie, autant sur le plan moral que physique. Cela a eu un gros impact sur ma sexualité. J’ai mis beaucoup de temps avant de me la réapproprier et surtout avant de me réapproprier mon corps. Petit à petit, j’ai réussi à me reconstruire. J’ai su en parler, trouver du positif dans tout ça. Et maintenant, je suis bien plus forte qu’avant. Je suis en couple depuis quelques années, même si au départ, ma relation de couple a été très compliquée à cause de cette histoire. Mon copain avait du mal à accepter de voir des photos de moi sur une page Twitter.

Aujourd’hui, si je me confie lors de cette interview, c’est surtout pour aider les jeunes qui vivent la même chose que moi, garçons ou filles. Je veux raconter mon histoire pour qu’ils ou elles ne reproduisent pas mes erreurs. Mais aussi pour que ceux qui vivent ça puissent se reconnaître dans cet article et en parler. Pour qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seuls.

En 2020, selon le Ministère de l'Intérieur, 24 800 viols ont été enregistrés en France.
Un chiffre en hausse de 11% par rapport à l'année 2019.

Circonflex remercie encore Clara de s’être confiée à l’un de nos journalistes.
A sa demande, cette interview a été réalisée en plusieurs fois pour respecter
des pauses nécessaires. Selon des raisons évidentes, tous les prénoms ont été changés.

Ce témoignage a pour objectif d’aider les personnes qui ont été victimes de tels 
agissements et de montrer les risques des réseaux sociaux et du revenge porn.

Il veut aussi mettre l’accent sur l’importance du consentement libre et 
clairement exprimé lors de tout acte sexuel.

Les événements qui composent ce témoignage débutent en 2016.