Cela fait 4 ans que l’enseigne Uber Eats s’est installée à Lille et ses alentours. Nul besoin de vous présenter ce service de livraison de restauration à domicile, en vogue depuis les confinements, notamment auprès des 18-25 ans. Derrière vos repas savourés confortablement se cachent des hommes… et des femmes ! Le métier de coursier est à 92% masculin, selon Les Echos. Circonflex Mag s’est interrogé sur cette inégale répartition et est allé à la rencontre de Stefani, livreuse chez Uber Eats.
Ce n’est pas un choix facile de travailler chez Uber Eats. Pourquoi avez-vous pris cette décision ?
Ce choix est surtout lié à ma vie privée. Je suis maman de deux jeunes enfants, et ma petite fille de 7 ans est atteinte d’un trouble du spectre autistique. Je devais avoir des horaires flexibles pour travailler quand je le souhaitais. Il fallait que je sois disponible pour les rendez-vous chez l’orthophoniste, le psychologue, l’ergothérapeute et pour chercher et accompagner mes enfants à l’école. Et puis j’en avais eu des échos positifs, on m’avait assuré que la rémunération était assez bonne. C’est aussi pour cette raison que j’ai préféré Uber Eats à ses concurrents.
Où travaillez-vous ? Comment se structure votre journée ?
Comment vit-on quotidiennement le métier de livreuse ?
On ne se sent pas particulièrement en sécurité. Tout d’abord parce que l’on est seule. Il peut nous arriver tout et n’importe quoi. On s’en va de temps en temps livrer dans des endroits dépourvus d’éclairages, à des gens pas toujours commodes. Côté épanouissement, ce n’est pas le métier de mes rêves. On va dire que ça dépanne. Pour moi, c’est un peu particulier, ce n’est pas un travail à plein temps … heureusement !
“Dans mon secteur, je suis la seule femme”
Sauriez-vous expliquer le faible effectif féminin dans votre métier ?
C’est clair que nous ne sommes pas bien nombreuses : dans mon secteur, je suis la seule femme ! Je n’y trouve pas forcément d’explications, si ce n’est cette insécurité dont je viens de vous parler. Peut-être aussi que travailler aux heures des repas, surtout le soir, ne colle pas avec la vie de famille de certaines. Je pense que c’est à un homme qu’il faudrait poser cette question, puisque moi, je suis une femme et que j’ai fait ce choix !
« La place de la femme dans la société, ce n’est pas encore ça.»
Avez-vous déjà fait face à des remarques ou des comportements déplacés ?
Oh que oui ! Les propos sexistes et les comportements lourds ne manquent pas. J’ai essuyé bon nombre de remarques, comme quoi ma place n’était pas là, qu’elle était à la maison à faire à manger, à m’occuper de mes enfants. Qu’une femme ne devait pas être dans la rue à cette heure-ci. La place de la femme dans la société, ce n’est pas encore ça, je peux en témoigner. Je n’en fais pas une généralité, mais avec ce que j’ai vécu, c’est comme ça que je l’analyse.
Existe-t-il, au contraire, des avantages à être une femme dans ce milieu ?
Vous rappelez-vous d’un évènement vous ayant marquée ?
Un jour, je m’en vais livrer une commande à un client auquel j’avais déjà eu affaire les deux jours précédents. J’arrive sur le seuil de sa porte, je sonne, il m’ouvre, me tend sa main et me dit « c’est pour vous ». Je prends ce qu’il me donne, pensant qu’il s’agit justement d’un pourboire. C’était finalement son numéro de téléphone. Il m’a dit d’en faire ce que je voulais. Cette situation m’a mise terriblement mal à l’aise car ce monsieur avait un certain âge, contrairement à moi qui entre dans la trentaine. Je suis partie sans dire un mot.
Jusqu’ici, que retenez-vous de votre expérience de coursière ?
J’ai acquis des compétences professionnelles, évidemment. En dehors de cela, j’en ai beaucoup appris sur la place de la femme mais surtout sur la manière dont l’homme en général traite parfois les personnes qu’il considère comme inférieures. Cela m’a choqué. Pour une minute de retard, on va se faire incendier, insulter, se faire balancer le repas au visage. On ne nous considère même plus comme des humains. Ça reste une minorité de cas, mais c’est désolant.