Laureen, tatoueuse au grand cœur

Il est 10h, le salon ouvre à peine ses portes… Les doux rayons du soleil caressent les dessins proposés aux clients pour la journée. Circonflex Mag a rencontré la bonne fée du tatouage, celle grâce à qui de nombreuses femmes atteintes d’un cancer du sein se regardent de nouveau dans le miroir : Laureen. Une femme de caractère qui n’abandonnera jamais la cause qu’elle défend depuis toujours : aider les autres.

Circonflex Mag : Pourquoi le monde du tatouage ?

Laureen : Oula (rires) ! C’est une longue histoire ! C’est ma maman qui m’a offert mon premier tattoo à 18 ans. 2 ans après, j’en ai refait un autre. J’ai sympathisé avec mon tatoueur. Après mon BTS, j’ai eu envie de mon troisième tatouage.

 

« J’ai toujours voulu être utile aux autres »

 

C’est donc après la fin des études que le tatouage a pris une place importante dans votre vie ?

Je me suis dit à moi-même : « je suis bête de ne pas y avoir pensé plus tôt ». Je suis issue d’une famille d’artistes, le tatouage, ça résume mon ADN . Je suis retournée voir mon premier tatoueur. Je lui ai demandé de m’enseigner son métier. Pas de bol, il avait déjà un stagiaire….J’ai dû trouver quelqu’un d’autre, ce qui m’a pris énormément de temps, car les places dans le métier sont assez chères…surtout pour les femmes à l’époque. J’ai enfin trouvé un formateur à Paris. Mais l’ambiance et la mentalité ne m’ont pas plu. Je suis alors revenue chez moi pour monter mon entreprise. J’ai fait 5 ans de petits boulots à droite et à gauche pour me donner les moyens d’ouvrir ma première boutique à Lomme.

 

 

A quel moment les tatouages thérapeutiques ont-ils fait leur apparition dans la pratique de ton art ?

J’ai toujours voulu être utile aux autres. Mon salon s’est fait connaître à travers le bouche à oreille.  J’avais des clients qui venaient pour des cicatrices. Des personnes de la Clinique Du Bois sont venues me trouver. Elles appartenaient à des associations qui oeuvraient pour Octobre Rose. Elles m’ont expliqué qu’elles avaient vu ce que je faisais en thérapeutique et qu’elles souhaitaient mettre mon travail en valeur. Elles m’ont alors proposé de recevoir un certain nombre de femmes, qui étaient encore sous traitement de chimio, mais qui souhaitaient se faire tatouer par la suite. A l’époque, nous n’étions que des femmes dans le salon. On a offert notre temps, de manière bienveillante et totalement gratuite, pour créer des dessins. Grâce au travail de photographes, on a pu mettre notre savoir-faire en valeur.

 

« Dans mon salon, on est comme à la maison »

 

Qui vient chez vous ?

Tout le monde. Au début, on a eu beaucoup de césariennes, de fractures, d’accidents de voitures. On intervient avec le thérapeute sur les cicatrices qui te pourrissent la vie. Comme par exemple, celles qui t’empêchent d’aller à la piscine avec tes gosses. Les résultats sont immédiats.

 

Laureen, notre bonne fée du tatouage

 

Des risques avec l’encre, l’opération… ?

Il faut attendre un peu avant de tatouer,  parce qu’il y a parfois des risques de récidive, notamment avec la chimio. L’encre est biologique, hypoallergénique et stérile, on ne peut absolument pas faire de réaction. Il y a des protocoles à suivre : on travaille avec l’ARS (agence régional de santé). Niveau hygiène, j’ai toujours été très carrée.

 

« Je veux être utile à celles qui se battent »

 

Comment procédez-vous durant une séance de tatouage thérapeutique, après un cancer du sein ?

Je viens avec un tracé hyper fin. Ce n’est pas parce que la peau a été affectée par une cicatrice que je ne peux pas faire un travail rigoureux. Tu ne dois pas voir la différence entre un trait sur une cicatrice et celui sur une peau lambda. Je me débrouille pour gérer la profondeur et comme il n’y a pas de préréglage sur les machines, ça demande un gros travail de minutie. Dès que la peau est plus mobile et blanche, on peut intervenir. Bien sur, avant de commencer, il faut l’accord du médecin. On travaille en concordance avec des chirurgiens esthétiques. Le résultat est tout de suite incroyable. Je veux vraiment développer cette pratique afin d’être utile à celles qui se battent.

 

« Je suis la cerise sur le gâteau ! »

 

Justement, comment rassurez vous ces femmes qui, pour la plupart d’entre elles n’ont jamais fait de tatouages ?

85% de ces dames n’ont jamais été tatouées ! C’est une démarche inédite pour elles. Alors, il faut être dans la bienveillance, dans le sur-mesure. Dans mon salon, on est comme à la maison et je veux vraiment garder cette ambiance. J’ai des clientes de plus en plus jeunes. Elles (et ils, les grands brûlés par exemple) ont une force de vie incroyable, ont conscience du côté précieux du temps ! Aimer de nouveau son image dans le miroir grâce au tatouage, ça leur donne une grande force pour continuer. Je les admire !

 

 

Est-ce que vous avez eu des personnes insatisfaites de leur tatouage ?

En thérapeutique, non, jamais. Ce qui est important, c’est de dire à ces patients qu’on ne peut pas leur rendre un bout de corps. On ne fait que du 3D. Mais j’ai des personnes qui ont montré leurs tatouages à des médecins : ils n’arrivaient pas à distinguer le vrai sein de celui qui avait été opéré. Mon travail ne peut exister qu’avec l’aide des chirurgiens esthétiques. Dans la région, ils font un travail extraordinaire. Avoir le même porté au niveau du poids ou encore la même inclinaison de greffe de téton : franchement, c’est de l’art ! Moi, je suis la cerise sur le gâteau, j’interviens après.

 

 

Les différentes encres naturelles de Laureen pour le tatouage thérapeutique

 

Y a-t-il différents types de dessin pour les tatouages thérapeutiques, en particulier pour le cancer du sein ?

C’est bien de le souligner ! Effectivement il y a deux solutions possibles. Soit on fait du tatouage ornemental, c’est-à-dire de la fleur, des choses qui font plaisir. Soit on recrée visuellement ce qui manque. Généralement, j’ai plus de demandes pour les tatouages ornementaux. On ne remplacera jamais un vrai téton, aussi, les clients se disent : «autant que cela me serve pour avoir du floral,  quelque chose de super joli ».

 

 

Le mot de la fin ?

J’aimerais faire comprendre que le tatouage, ce n’est pas que pour faire joli. Lorsque je tatoue des personnes qui ont souffert d’un cancer du sein ou qui ont de graves cicatrices, je n’ai qu’un seul objectif. Je veux qu’elles se disent : « j’ai été malade, mais aujourd’hui, je peux aller mieux ». Je pars du principe que s’aimer à nouveau en se regardant dans un miroir, c’est se donner la force de continuer. Nous, les tatoueurs, ne sommes pas là pour faire de l’art. Nous sommes au delà de ça : on est juste dans le « faire plaisir » …

 

Julie Lefebvre