La dame qui colle

En trois minutes, un pinceau imbibé de colle dans une main et un portrait d’une femme dans l’autre, elle « combat ». Julie alias La dame qui colle, lutte contre le harcèlement de rue et le sexisme que subissent les femmes au quotidien. Dans la rue, que colle-t-elle ? Des femmes. Elle les appelle : les gardiennes de rue.

Calme et affirmée, elle partage son histoire, son évolution en tant qu’artiste et en tant que femme. Elle boit son thé et fume sa cigarette roulée, posée sur la fenêtre de son ancien appartement à Porte d’Arras, aménagé en atelier. Dans ce salon artistique remplit de papiers, de dessins, de tubes de peinture, on aperçoit des silhouettes, des regards mais ils sont différents de ceux qu’elle colle dans les rues de Lille. Les regards agressifs, incisifs, elle les laisse pour la rue, pour représenter des femmes qui n’ont pas ou plus peur d’être dans la rue seules, qui veulent être « les gardiennes de rue ».

Cette série, composée de 10 portraits de « Gardienne de rue », La dame qui colle l’a commencée en mars 2021, dans le but dit-elle « de bien faire chier ».
En collant ses dessins, Julie veut réintroduire la femme dans l’espace public. Une femme dessinée certes, mais qui parait plus réaliste que toutes celles que l’on retrouve généralement dans la rue. À travers les publicités, elles sont amincies, romantisées, lissées, adoucies mais sexualisées. Julie nous fait remarquer que même dans l’industrie du street art les sexualise : « Je me suis dis qu’il fallait changer ça ».
Elle représente les femmes, celles qui, dans la rue, font semblant d’être au téléphone pour « éloigner les connards », celles qui se relèvent après avoir été jetées sur le trottoir par leur agresseur, celles qui ne sont pas vues, celles que l’on n’ose pas montrer. Ces femmes, Julie les dessine, les colle et nous les montre.

« Je n’ai pas eu l’impression d’être  dite féministe »

Cette série a tout l’air d’être le travail d’une militante féministe mais curieusement, elle ne se considère pas comme telle : « J’ai un travail qui est militant sans que je ne le sois vraiment ». Elle explique que c’est parce qu’elle n’a pas eu l’impression « d’être quelqu’un en colère ».
Ce sont les rencontres et les histoires que Julie a « brassé », qui ont été « hyper violentes » et qui l’on poussait agir. Elle explique « C’est mon coté humain qui a réagi. Je n’ai pas eu la sensation d’être dite féministe ».

« Je ne suis pas là pour décorer la ville mais pour transmettre un message »

Elle nous explique que son choix d’exposer son travail dans un milieu urbain « vient de la volonté de se battre pour une cause ». Elle rajoute : « C’est plutôt de l’art social. Je ne suis pas là pour décorer la ville mais pour transmettre un message ».

Cette envie de revendiquer ces idées est née tellement tôt qu’elle fait partie de sa nature. « À 12 ans, je m’étais dit que je voulais faire de la politique. J’avais envie de revendiquer des choses !» affirme-t-elle. À ce même âge, lors d’une rencontre avec un ami artiste de sa mère, Julie compris que l’art pouvait lui servir à revendiquer ces idées.

« J’étais touchée par ses peintures car elles avaient un combat politique. À ce moment-là, j’ai compris que l’on pouvait transmettre un message politique à travers un travail artistique ». Elle affirme, avec une simplicité étonnante : « Je décide de faire les beaux-arts à 12 ans ».

« Je ne le considère pas comme une œuvre (…) mais comme un combat ».

L’envie de passer un message politique ne l’a jamais quitté. Elle l’explique dans le cadre de sa série Les gardiennes de rue  : « Ce n’est pas du street art, je ne le considère pas comme une œuvre dans la rue mais comme un combat. C’est plus une action qu’une œuvre ».

« Je dessinais pour évacuer tout ce qui se passait dans ma tête »

Le dessin a toujours été la manière pour Julie, de réagir avec son instinct. Elle raconte que plus jeune, elle lisait la presse tous les jours et faisait « des espèces d’histoires qui critiquaient le système, des dessins de presse plutôt artistiques. Je m’inspirais de ce que ça m’évoquait comme contrariétés car je ne me sentais pas bien en lisant les articles. Je dessinais pour évacuer tout ce qui se passait dans ma tête ».
Elle rajoute avec un ton nostalgique « c’était parfait parce qu’en lisant la presse, je comprenais le monde et en même temps, j’évacuais mon angoisse vis à vis de celui ci ».

Ce monde qui l’angoisse, Julie l’a toujours questionné. En classes préparatoires ou aux Beaux arts, Julie s’est toujours demandée, par rapport à l’écologie à l’époque, « Pourquoi l’humain est mauvais ? ». Même si les questions écologiques restent importantes pour elle, son questionnement s’est petit à petit transformé en « Pourquoi l’homme est-il mauvais ? ».

Ce questionnement est né au cours de lectures féministes et de discussions avec d’autres femmes sur leurs experiences, leurs histoires d’amour, leurs aggressions. C’est un élan de sororité qui lui a donné envie de réagir. Elle se réapproprie la rue et elle confie « quand je colle, c’est comme si je faisais pipi sur les murs, je marque mon territoire ».

« Je me venge ».

Julie a récemment collé son autoportrait dans la rue. Elle fait maintenant partie des gardiennes de rue. Elle nous confie son choix : « Pendant mon enfance, j’ai eu une grosse agression dans la rue. C’est un blocage qui est fort dans ma vie de femme. J’ai donc décidé de coller mon autoportrait sur mon lieu d’agression. Mon autoportrait me représente en train de tomber. Pour moi, c’est une force de pouvoir mettre ma chute à cet endroit alors que maintenant je lutte pour mes droits. Cet autoportrait m’a permis de changer le souvenir de ce lieu. Je me venge ».
Elle rajoute : « Ce projet c’est la continuité de ma vie, c’est une cure ».

Le choix de la rue est important pour coller. C’est le « cadre réel » du portrait. Elle choisit de coller Les gardiennes de rue dans « les endroits où t’es seule, pas trop éclairés, quand tu commences à quitter un bar et tu vas rejoindre Moulin ». Elle précise que « Les gardiennes de rue sont un peu cachées, elles te surprennent », elle rajoute, « les gardiennes quoi » comme une explication évidente.
Ces portraits ont un rôle dans ses rues mal famées. « Elles t’accompagnent ». Elles rassurent les passantes qui sont seules. Elles leur donnent de la force dans les « espèces de rues qui te font peur ».

Étant dans ce cadre réel, cet espace public ouvert à tous, les gardiennes provoquent des réactions.
Les portraits sont rentrés dans le quotidien des lillois. Ils lui font part de leurs sentiments :
« Je me sens rassurée quand je les vois, ça me ramène un peu à la maison ».
Julie rajoute « Quand les personnes connaissent le projet, elles se sentent rassurées. Elles savent que quelqu’un travaille pour elles dans l’espace public ». Elle poursuit : « Un jour des vieilles dames m’arrêtent en s’exclamant « Ah mais c’est vous qui collait, j’adore ! Il y en a un à coté de la maison, je me suis mise sur insta pour vous suivre »
C’est pour ces moments que Julie colle. C’est l’aboutissement de son projet,. Elle veut que les femmes échangent leurs experiences pour devenir plus fortes.

« Pourquoi est-ce que je devrais accepter que mon sourire suffise à me laisser passer ? »

Son travail est maintenant en partenariat avec la mairie de Lille. Elle a donc un soutien financier qui est important pour perpétuer ce projet puisque « coller coûte cher ». Grâce à ce partenariat et son statut d’artiste, Julie a pu discuter avec des inconnus de son travail. Elle a compris que son message n’était pas compris de tous : « Un jour je rencontre une vieille femme, genre 80 ans, qui me dit : « Vous ne pouvez pas les faire des souriantes », en parlant des gardiennes. Mais ce n’était pas du tout le propos ! Moi, dans la rue je ne souris pas, vous non plus. Pourquoi est-ce que je devrais accepter que mon sourire suffise à me laisser passer ? »

La réaction la plus visible reste la dégradation des portraits. « Il y a différentes agressions sur les portraits mais souvent elles ont été décapitées, hyper étrange. Est-ce que c’est parce que c’est facile à arracher, où est-ce que c’est juste qu’ils ne veulent pas voir leurs têtes à cause du regard agressif ».

« Un jour peut-être, ils nous laisseront tranquille nous aussi »

« Comme c’est du social art, je peux évaluer l’impact de mon travail, c’est trés intéressant. Je colle beaucoup dans mon quartier et je vois qu’elles sont moins abîmées qu’au début ». Elle termine comme un message d’espoir : « Peut-être qu’à force de voir les gardiennes, ils se sont dit qu’ils allaient les laisser. Un jour peut-être, ils nous laisseront tranquille nous aussi ».