Apporter sa brique à l’édifice

Didier est un ancien ouvrier de la construction. Il a fait partie de l’important chantier de construction du métro de Lille. Pour Circonflex Mag, il revient sur ses liens avec la région du Nord et sur sa vie mouvementée.

Avec plus de 100 millions de voyageurs par an, le métro de Lille est le deuxième réseau le plus fréquenté de France. Combien de visages derrière ce qui fut un chantier gigantesque ? Didier est l’un d’entre eux.

Les murs en granit, le toit en ardoise, les couleurs froides des hortensias et les collines qui se chevauchent jusqu’à l’horizon… ce n’est pas dans le Nord que vit aujourd’hui Didier Blomme, mais bien dans les Côtes d’Armor avec son épouse, Béatrice. Il pleut (ou il drache, à vous de choisir) et le ciel grisâtre pèse comme un couvercle. Assis dans son fauteuil en cuir, Didier s’exclame “Enfin une interview ! Ça fait longtemps que j’en mérite une !”. Il a plus de 70 ans, le temps n’a pas effacé sa voix imposante et son envergure qui laissent deviner un fort caractère. A cheval sur la propreté et le rangement, il ne laisse trainer aucun objet sur la table et les chaussures sont alignées à l’entrée “Ce sont les règles” [rires]. Une discipline qui lui a valu, selon lui, “d’être là où je suis aujourd’hui “.

« Cela a forgé ma volonté de me battre »

Ce cadre reposant est aux antipodes de celui dans lequel il a grandi. C’est à des kilomètres de la Bretagne que sa vie a commencé. Nous sommes alors vers la fin des années 1950 à Wattrelos, à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Lille. Didier naît dans une famille modeste avec ses frères et sœurs. Son père absent et sa mère détachée résument son enfance, violente et difficile : “C’était une période de ma vie que je ne préfèrerais pas évoquer” affirme-t-il. Le ton plaisantin du début de l’entretien a laissé place à une voix plus grave, pleine de souvenirs que l’on imagine douloureux. Après cette enfance instable, il grandit en passant de petits boulots en petits boulots, tous moins bien payés les uns que les autres “Cela a forgé mon caractère et ma volonté de me battre.”

Des sacrifices et des efforts, il y en a eu, qui vont peu à peu l’amener à gravir les échelons des entreprises du bâtiment. Les mains sont encore marquées par ces années de travail dans des conditions rudes. Il continue néanmoins à les utiliser en construisant des meubles, étagères ou tables qu’il expose dans toute sa maison.

« Un projet pharaonique »

Mais revenons trente ans en arrière. Il entend parler en 1988 du projet de construction d’une ligne de métro entre Lille et Roubaix. Il trouve un moyen pour intégrer le chantier : “J’avoue n’avoir pas été si intéressé que ça par le chantier… Mais ça changeait de la routine.”. Avec humour, il nous confie ne pas avoir gardé de souvenirs de tout…Mais pour nous, il a fait un petit effort. “Déjà, ça ne correspondait pas à l’époque. En ce temps-là, il n’y avait que des bus et des tramways à Lille. Le métro, c’était un projet pharaonique !” Ce fut donc une entrée dans le monde moderne pour Lille et sa métropole, le but étant de suivre l’exemple de Paris, Londres ou encore New York. Le projet VAL (Villeneuve d’Ascq-Lille) naît en 1974 sous l’impulsion d’Arthur Notebart. En 1983, le métro de la métropole de Lille est inauguré en présence du président de la République François Mitterrand. Il s’agit par ailleurs du premier métro automatique de France. Un bond dans la modernité pour le Nord. “Cela a clairement amélioré la qualité de vie de la population. Avant, toutes les villes à la périphérie de Lille étaient un peu isolées.”

Didier se rappelle que les conditions de travail, surtout l’hiver, rendaient la tâche des ouvriers encore plus compliquée : “Physiquement et mentalement, cela poussait à bout”. Le regard un peu fier, il admet qu’”au fond, participer à ce chantier m’a permis de faire partie de quelque chose de grand.” Une chose qu’il n’aurait jamais imaginée quelques années plus tôt.

« Je passe mes journées sans crainte du lendemain »

Les années passent, et les souvenirs s’estompent. Quitter Lille fut à la fois le symbole de la fin d’une vie, mais aussi le début d’une autre pour Didier. Il n’est plus retourné dans le Nord depuis des dizaines d’années. Finie la vie précaire. Il a depuis fondé une famille et s’est remarié : une vie désormais stable et reposante donc, qui le pousse à profiter de chaque moment avec ses proches : “Je ne sais pas si c’est mérité, mais j’ai beaucoup donné sur le terrain.” En jetant un coup d’œil aux photos de famille et aux bouquets de fleurs qui ornent les murs de pierre, il avoue ne rien regretter. Une rencontre faite sur un de ses nombreux chantiers lui remonte à l’esprit “Un des mes collègues m’a dit une fois que si j’étais satisfait de mon travail, je n’avais pas à redouter de mon repos. J’ai depuis abordé toutes mes journées sans crainte du lendemain.” Il passe cette retraite non loin d’Uzel, ville natale du « père du métro », Fulgence Bienvenüe. Comme quoi, le hasard fait bien les choses…