Il y a un peu plus d’un mois mourait Mahsa Amini en Iran. La jeune femme avait été arrêtée trois jours plus tôt par la police iranienne pour port de vêtement inadapté. Sa mort a déclenché dans le pays une vague de manifestations et de multiples réactions sur les réseaux sociaux. Et les répercussions se vivent jusqu’en France. CirconflexMag a rencontré Taraneh, française d’origine iranienne, professeur au sein de l’Institut Catholique de Lille.
Née en France de parents iraniens arrivés il y a plusieurs décennies dans l’Hexagone, Taraneh est restée très attachée à la culture de ce pays, et a toujours cherché à défendre et apporter son soutien aux Iraniennes. « Issue d’une famille éclairée », elle a toujours beaucoup ressenti l’injustice. « Pourquoi moi j’ai cette chance-là de faire ce que je veux ? En France, le seul plafond de verre qu’une femme a, c’est celui que les autres lui dressent ». Ici, elle a pu faire des études de communication, domaine particulièrement contrôlé en Iran.
Si elle n’a pas grandi là-bas, elle connaît l’Iran à travers ses voyages de vacances, et « par cette double culture française et iranienne » dans laquelle elle a été éduquée. L’image de l’Iran qu’elle a est « celle du cœur, des sentiments ». D’où son « sentiment d’appartenance » et ce « sens de responsabilité » que tous les Iraniens ont en commun.
« MILITANTE HUMAINE »
Lors de ses études, elle se spécialise en géopolitique, un domaine qui l’a toujours intéressée. Surtout depuis 2009 et l’élection de Mahmoud Ahmadinejad le 12 juin. « Une élection qui nous a été volée » décrit-elle. Un déclic, elle décide de ne plus rester dans le silence et de se battre. Même si elle n’a pas voté, cela touche à une « dimension plus émotionnelle et personnelle, ça touche plus à mon âme qu’à mon sang. Ce n’était pas normal » poursuit Taraneh, toujours sous le choc, même plus de 13 ans après. Et même si elle n’est pas politisée, ni une militante, son combat pour les droits des femmes la pousse à faire devenir le « mégaphone de ce qu’il se passe là-bas ». A 23 ans, elle l’a fait « à tort et à cris, peut-être un peu dangereusement et naïvement », en espérant que ça allait changer. Elle participe aux manifestations à Paris, répond aux interviews, participe à des documentaires. « Si je ne le faisais pas, c’était un silence de plus ». Mais avec une précaution : « l’anonymat, pour éviter d’être reconnue et surveillée, notamment sur les réseaux sociaux ». Malheureusement pour Taraneh, ses actions l’empêchent de retourner en Iran pour ne pas se faire arrêter. De plus, si elle venait à y retourner en tant que Française d’origine iranienne, elle pourrait perdre sa double nationalité au moment où elle poserait un pied sur le territoire et ne jamais revenir. Toutes ces actions politiques ont été tues de 2009 à maintenant pour se protéger, elle et sa famille. Malgré l’enlisement de la situation depuis plusieurs décennies, elle veut « garder l’espoir » que cette fois, la situation va changer. La contestation qui a lieu depuis la mort de Mahsa Amini est une « révolution de femmes », et c’est pour cette raison que le slogan est « Femme, Vie, Liberté ».
« PRÊTES À MOURIR POUR LA LIBERTÉ »
Là-bas, elle décrit une atmosphère de danger et d’inhumanité. Une oppression qui dure depuis 43 ans. « C’est trop, combien de temps peut-on taper sur la tête d’une femme ? » questionne-t-elle. Elle déplore les nombreuses morts qui ont lieu depuis le début des révoltes dans les rangs de ce qu’elle décrit comme « ses sœurs qui se battent pour elle ». Les libertés sont restreintes en Iran, particulièrement pour les femmes, que ce soit la parole ou la manière de s’habiller. Tout passe par l’autorité du père avant le mariage, puis par l’époux après la cérémonie traditionnelle. « Il y a une lassitude, elles n’en peuvent plus. Des adolescentes de quatorze et seize ans sont même prêtes à mourir pour la liberté » expose-t-elle. Et cette fois, contrairement aux manifestations de 2009, la contestation s’est répandue dans tout le pays, traversant les frontières entre les régions et les genres.
Encore aujourd’hui, elle s’informe chaque jour sur les dernières actualités et se sent « dans le devoir de communiquer et n’arrive plus à se taire ». Elle continue alors de manifester dès qu’elle le peut. Mais Taraneh a des difficultés à contacter ses proches en Iran. Un silence pesant, « ne pas savoir est pire que de savoir ».
Lorsqu’elle avait 19 ans, elle s’était promis de retourner en Iran « lorsque le pays serait libre, car la liberté est le plus grand des trésors ». Une promesse qu’elle espère concrétiser un jour. Et elle continuera de se battre pour.