“Une lutte”

Sana a 32 ans. Il vient de Guinée Conakry, et est demandeur d’asile. Arrivé à Lille en 2018, il est depuis trois ans en procédure de régularisation sur le sol français. Une situation compliquée qui n’a pourtant pas su mettre à mal un altruisme et une determination à toute épreuve.

Dès son arrivée en France en octobre 2018, Sana se rend à Lille. Un choix qu’il a encore du mal à expliquer. Il avait  déjà lu le nom de la ville dans des livres sur la France, dans les médias et et se souvient qu’il avait entendu parler de  l’équipe du LOSC. A l’époque, Sana n’a ni connaissances ni ressources. Il loge dans un squat en périphérie de la ville et s’efforce de s’intégrer à un groupe de Guinéens, seule manière pour lui, explique-t-il, de se familiariser rapidement avec l’environnement :« La communauté, c’est primordial.  Elle est la passerelle entre le pays d’origine et le pays d’arrivée ». Sa situation est très précaire. Pourtant, il décide immédiatement de s’inscrire à l’université, un autre moyen d’intégration en plus de l’enseignement bénéfique qui lui serait dispensé.

Après 6 mois passés sur le sol français, Sana se fait renvoyer en Espagne,  pays par lequel il est arrivé  en Europe. Il est de retour à Lille quelques jours plus tard, exténué et toujours sans ressources. Il doit mettre ses études en parenthèse. C’est le début d’un périple de trois ans, dont il n’a toujours pas vu la fin, pour se faire officiellement accepter sur le sol français. Sana explique qu’en plus des complications administratives qui condamnent déjà quasiment tous les migrants non francophones, il faut supporter de vivre dans la peur constante. La peur et la tension de se faire contrôler et d’être refoulé du territoire. La peur aussi de perdre tout ce pourquoi il s’est battu depuis son arrivé.  « C’est long.  Durant trois-quatre ans, ta vie est suspendue ».

« Tu n’as pas de papiers, tu n’es pas un humain »

Aujourd’hui, Sana suit une licence d’histoire à la fac et loge dans un Centre d’Hébergement d’Urgence (CHU). Soulagé d’être dans une position moins instable qu’avant. Mais ses conditions de vie sont difficiles :  il partage une chambre sans chauffage avec trois ou quatre personnes. En hiver ,    il ne peut régulièrement pas avoir accès à de l’eau chaude.

Pour vivre, il est obligé de travailler sans être déclaré. Chantiers, livraisons, cours à domicile, déménagements… il multiplie les petits boulots pour s’en sortir. Dès qu’il le peut, il milite auprès d’associations, pour devenir, à son échelle, « porte-parole des moins chanceux ». Sana est très présent dans la vie bénévole de la ville, il travaille avec plusieurs assos, comme Banta qui propose une aide administrative à ceux dans le besoin, ou Utopia 56 qui organise des maraudes. Il donne des conférences, témoigne sur son parcours. Grâce à l’association Deep France, il a pu découvrir le théâtre et monter sur scène, un souvenir impérissable qu’il revit avec des étoiles dans les yeux.

En Guinée, Sana était investi dans la vie militante. Il manifestait  déjà pour défendre ses idées politiques en classe de terminale. Il raconte que son militantisme était vu d’un mauvais œil dans son pays, où il peut être dangereux d’afficher certaines opinions. Les manifestations en Guinée sont synonymes de violence et souvent de morts ajoute-il avec tristesse. Son arrivée en France, fin 2018, concorde avec la montée du mouvement des gilets jaunes.  Il se souvient : » j’ai été véritablement choqué de voir la violence dans les manifestations au pays des Droits de l’Homme. ». Une   profonde désillusion pour Sana qui ne connaissait la France qu’au travers de la littérature et des médias.

« Ça fait partie du parcours. La vie, c’est une lutte. »

Sana est parfaitement lucide sur sa situation. Il pointe du doigt les dirigeants occidentaux et africains qu’il estime responsables des migrations par millions : « ce sont eux qui nous poussent à l’exil, à prendre la mer et à risquer nos vies ». Aujourd’hui il aimerait que les dirigeants africains relèvent la tête face aux puissances occidentales et que les ressources du continent soient mieux gérées.  Pour que tout le monde soit gagnant. « La stigmatisation constante n’est pas quelque chose  à laquelle on s’habitue. Ça blesse, ça heurte et ça marque. Pour certains, si tu n’as pas de papiers, tu n’es pas un être humain. Tout le monde est un jour amené à se déplacer, à migrer. Les gens ne quittent par leur vie du jour au lendemain pour le plaisir, ils se déplacent pour survivre. » Mais, pragmatique, il ajoute que pour lui, « tout ça fait partie du parcours.  Il faut lutter pour avancer. la vie, c’est une lutte ».

Sana aimerait à terme se former et devenir éducateur social. Toujours tourné vers les autres, avec cette volonté  d’apprendre et de systématiquement partager. Parce qu’il estime avoir une dette  à payer à la société,  en échange de tout ce qui lui a été donné de bon.