Les féminicides ont augmenté de 21% en 2019, 146 femmes sont décédées sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint. En 2020, ce chiffre a baissé. Signal positif ou illusion ? Circonflex Mag a posé la question aux responsables du centre Brunehaut SOS violences conjugales.
88. C’est le nombre de féminicides en France en 2020. 88 femmes qui ont perdu la vie, tuées par leur conjoint ou leur ex-compagnon. C’est une estimation minimale, selon l’Etude nationale sur les morts violentes au sein du couple. C’est aussi 21% de moins qu’en 2019. Pourquoi cette baisse ?
Sophie Guillermain et Gaëlle Gavois travaillent pour le centre d’écoute Brunehaut SOS violences conjugales à Lille Wazemmes, et apportent une réponse qui, à première vue, peut sembler paradoxale : le responsable, c’est en grande partie le confinement, qui a empêché des femmes de sortir ou de se séparer de leur conjoint. « Il faut savoir que 51% des féminicides ont pour mobile la séparation ou la demande de divorce. Cette initiative exacerbe le phénomène d’emprise lié à une jalousie excessive, mais aussi le contrôle et les menaces qu’exerce le conjoint-bourreau sur sa victime. Or, le premier confinement a eu pour conséquence « l’emprisonnement » de certaines femmes : elles n’ont pas pu quitter leur domicile. Cette baisse ne serait donc que trop probablement liée au confinement. En temps normal, si ces femmes étaient parties de chez elles, elles auraient pris le risque d’être poursuivies, retrouvées et peut-être tuées par leur compagnon. C’est à double tranchant.
Le 39-19, un centre de première écoute
Le gouvernement a pris plusieurs mesures en 2019 afin de lutter contre ces violences et meurtres. Parmi celles-ci, le 39-19, un centre de première écoute qui permet aux femmes victimes de violences conjugales de pouvoir être écoutées et redirigées vers les centres spécialisés les plus proches de chez elles. « Heureusement, le 39-19 a reçu des subventions. Le souci qui persiste, c’est que les associations et les centres puissent réussir à suivre », précise Sophie Guillermain. Certains centres manquent de fonds et d’effectifs pour suivre le rythme et s’adapter à la demande d’aide.
La deuxième mesure, c’est la création d’emplois d’assistance sociale dans les commissariats et gendarmeries. Une aide qui n’est pas négligeable pour Gaëlle Gavois : « quand une femme victime se retrouve dans un commissariat ou une gendarmerie, l’assistante sociale fait le lien dans les deux sens. Elle est un relais entre elle et la police, mais également vers les associations d’aides. Ces postes permettent de tisser un réseau d’aide et d’écoute autour de la personne en besoin. »
Il n’y a pas de profil type de victime ou de bourreau
Gaëlle Gavois tient à mettre les choses au point et à démonter les clichés. « Il n’y a pas de profil type de victime ou de bourreau. Il y a des femmes de 18 ans, d’autres qui ont la soixantaine. Des personnes en CDI, en recherche d’emploi tout comme des architectes ou des avocates », poursuit-elle.
Sophie Guillermain nous explique aussi que l’on ne parle pas forcément de femmes battues : « il y a des femmes qui nous disent qu’elles ne sont pas victimes puisqu’elles ne reçoivent physiquement pas de coups. » Il existe en effet plusieurs types de violences conjugales : des violences physiques et sexuelles, c’est-à-dire les coups et les actes sexuels portés envers la victime. « Mais il ne faut pas oublier de parler également des violences morales et psychologiques, poursuit Sophie Guillermain. Le harcèlement et l’humiliation en font partie. Le conjoint ou ex-conjoint peut aussi être un bourreau par le biais économique et administratif, lorsqu’il détient tout ce qui peut permettre à sa femme d’acheter ou de pouvoir agir comme une citoyenne. Ce cas là s’aggrave lorsqu’il concerne une femme immigrée, si son oppresseur détient ses papiers d’identité. »
L’année 2021 compte déjà plus d’une dizaine de féminicides, recensés à travers la presse ou sur Facebook. Mais les chiffres des féminicides, violences conjugales, agressions sexuelles, viols etc. sont malheureusement imprécis en raison du silence de nombreuses victimes. De même, les rapports de police, de gendarmerie et du gouvernement ne recensent pas les cas de suicides causés par la pression du conjoint ou ex-conjoint. Lorsque l’on demande à Gaëlle et Sophie si l’action du gouvernement est conséquente pour lutter contre ces actes terribles, elles nous répondent « Oui, mais … À partir du moment où il y a encore des violences, ça veut dire qu’on peut faire encore plus. »