Denissa a été victime d’une erreur médicale à la naissance. Elle est devenue non voyante. Dans quelques mois, elle quittera l’Institut du Vieux-Lille qui l’a accompagnée dès ses premiers pas. Portrait d’une jeune fille de 18 ans, un petit bout de femme au franc parler et à l’enthousiasme contagieux.
Denissa nous reçoit à l’Institut des jeunes Aveugles, accompagnée du directeur de l’établissement Monsieur Fichaux. L’interview commence et son téléphone sonne : « Je ne suis pas très pro, ça craint », plaisante-t-elle. Elle décroche, cela concerne son ordinateur. L’informatique est sa passion. Elle aime particulièrement les jeux audios – des jeux vidéo adaptés- où elle joue au clavier et à l’audio : « Cela peut parfois empiéter sur mes études, il faut que je fasse attention », glisse-t-elle.
L’IJA est un centre qui accompagne des jeunes déficients visuels de 0 à 20 ans. L’établissement aide aujourd’hui 190 jeunes :
« Ils nous poussent à être autonomes au maximum, explique Denissa. C’est grâce aux heures de kiné que j’ai pu améliorer mon orientation dans mes déplacements. Il y a cinq ans, j’étais complètement voutée et je ne marchais pas droit », raconte-elle.
En plus de l’apprentissage de la canne et du braille, des cours d’aide de vie journalière (AVJ) sont proposés : « Cela peut paraître idiot, mais apprendre à tartiner du beurre sur une tartine ,c’est tout une technique ».
J’aurais voulu être médecin
Denissa est suivie dans cet institut depuis sa naissance. « Quitter l’IJA va être une étape difficile. Ça représente une grande partie de ma vie. Ils m’ont vu grandir et ce cocon douillet m’a bien protégée quand même ». Grâce à cet accompagnement, elle a pu évoluer en mettant toutes les chances de son côté pour gagner en autonomie : « Je sais cuisiner. Maintenant, il faut que j’apprenne à maitriser le four et l’art de faire la lessive. Après ça, je serai opérationnelle pour une vie en intérieur ».
Denissa bénéficie aujourd’hui d’un accompagnement au centre-SESSAD : « Je reste à l’internat trois nuits par semaine. J’y suis les activités sportives et les études. C’est un enseignant spécialisé qui me réexplique ce que je n’ai pas compris en cours ». La jeune fille de 18 ans est en terminale au lycée Faidherbe et s’apprête à passer son bac allemand section européenne : « Je suis en école ordinaire et j’ai une AESH (Accompagnant des Élèves en Situation de Handicap) qui est présente 24h par semaine. » Plus tard, Denissa souhaite s’orienter vers des études d’assistance de régulation médicale dans les centrales d’appel d’urgence :
« J’aurais voulu être médecin, mais il n’y a malheureusement pas beaucoup de métiers dans le médical et le paramédical qui sont accessibles aux non-voyants».
Lorsque son directeur évoque l’idée de devenir kinésithérapeute, Denissa répond : « C’est le beau cliché de l’aveugle kiné, bof…»
C’est l’oxygène de la couveuse qui a brulé ma rétine
Denissa est devenue non voyante à la suite d’une rétinopathie des prématurés, due à une erreur médicale à sa naissance, en Roumanie. Née bien trop tôt, son pronostic vital était engagé : « Je pesais 900 grammes à ma naissance. C’est l’oxygène de la couveuse qui a brulé ma rétine». Cet esprit de battante est de famille, puisque que la mère de Denissa s’est exilée à plus de 2000 km pour que sa fille grandisse dans les meilleures conditions :
« Elle ne parlait pas un mot de français. Ma mère, c’est mon héros, je ne serais pas la personne que je suis sans elle. Elle a un peu cédé à tous mes caprices » avoue-t-elle, lucide.
C’est donc en 2004 que la belle histoire de Denissa avec l’IJA a commencé :« Ils me suivaient au centre d’hébergement mère/enfant pour mon développement avec une psychomotricienne, une orthophoniste et une éducatrice. Cela permettait à ma mère de faire les démarches administratives de naturalisation ».
Quand elle se compare avec ses amis non-voyants roumains rencontrés sur internet, Denissa est affolée : « Là-bas, l’inclusion, c’est mort. On ne leur apprend pas à se déplacer en locomotion, aucun de mes amis roumains n’est autonome. Aucun d’eux ne travaille, ça me détruit quand je vois ça. »
Aveugle et sans expérience : les employeurs n’aiment pas
En France, des améliorations doivent être faites concernant l’emploi : « Il faudrait qu’on arrête de nous prendre pour des incapables. En plus, le coût des aménagements de postes est financé par des organismes, les employeurs n’ont quasiment rien à payer », explique-t-elle. Cet été, Denissa a fait l’expérience de ne pas mentionner qu’elle était non-voyante pour postuler à des jobs d’été : « Les CV où j’ai précisé que j’étais aveugle, je n’ai pas été rappelée. Pour les autres, lors du fameux entretien d’embauche, le manager était tout gêné et tu sais très bien au son de sa voix que ta candidature ne seras pas retenue. C’est hyper malaisant et ça m’a bien découragée. Aveugle et sans expérience : les employeurs n’aiment pas ». Une chose est sûre :
Denissa sait que trouver un travail sera très compliqué dans sa situation.
À la fin de son année de terminale, si tout se passe comme elle l’a prévu, Denissa commencera sa formation au CHR de Lille. Sa détermination est sans faille : « Je vais essayer de me débrouiller au maximum toute seule, même si je sais que le CHR est immense». Avant de repartir, elle conclut : «Je n’ai pas d’autre choix que de me battre. On balaie la route pour les générations futures. Parfois ça lâche, c’est normal. Mais si tu ne te bats pas, tu es mort ».