“Défendre un retour à l’humanité à Calais”

Il y a 37 jours, Ludovic Holbein et sa compagne Anaïs Vogel entraient en grève de la faim pour interpeller les pouvoirs publics sur la situation des migrants à Calais, qui ne cesse de se dégrader. Circonflex Mag les a rencontrés.

« À Calais, 1200 personnes, réparties sur différents lieux de vie, sont expulsées tous les jours par les forces de l’ordre. Leurs affaires sont jetées. Ils se retrouvent sans rien ». Assis sur un banc de l’église Saint Pierre, dans laquelle il réside depuis le début de la grève avec sa compagne, Ludovic Holbein raconte. Sa voix résonne sous la voute de pierre. Il fait froid. Il nous dit être fatigué, mais parle avec une grande détermination : « on a de la chance ». Les deux grévistes se sentent soutenus dans leur démarche par de nombreux citoyens, associations, et médias. Un soutien qui se révèle d’une grande aide. Au bout de plus d’un mois d’effort, Ludovic reconnaît que le manque d’énergie commence à se faire ressentir. Mais ce qui s’avère le plus difficile à supporter, ce sont les refus politiques auxquels ils font face. Leur combat porte sur trois revendications majeures : l’arrêt des expulsions quotidiennes, la fin de la confiscation des effets personnels, et l’ouverture d’un dialogue avec les autorités.

« Au début, j’avais peur de craquer au bout de trois jours »

Le couple ne pensait pas tenir aussi longtemps. Plus encore, il ne se doutait pas qu’il serait nécessaire d’aller aussi loin : “Nos revendications sont tellement infimes, ce qu’on demande, c’est uniquement pour la durée de la trêve hivernale”. Ludovic nous explique que cette grève de la faim, c’est leur choix. Les personnes qui sont dehors, elles, n’ont pas cette chance de pouvoir décider de leur sort : « Hier soir, j’entendais le vent souffler sur Calais, je pensais à eux » ajoute-t-il. Une manière pour lui de garder de la force et du courage dans cette lutte. « Au début, j’avais peur de craquer au bout de trois jours », nous confie Ludovic. C’est à ce moment que sa compagne intervient dans notre échange, émue, la voix tremblante : « ce qui nous fait tenir, c’est ça ». Elle montre son téléphone. Elle vient de recevoir un message d’Aziz, un exilé soudanais qui est arrivé en Angleterre, et qui les a soutenus dès le début de leur grève de la faim, : « Tu es la personne la plus forte que je n’ai jamais rencontrée ». Elle s’effondre en larmes en le lisant. « Ce sont des larmes de joie et de fatigue », nous dit-elle.

« Notre corps c’est la seule chose qui nous appartient »

Anaïs, encore très émue, nous confie : « la grève de la faim, c’est un moyen non-violent de se faire entendre. Je ne crois pas en la violence, elle n’engendre que la violence ». Elle ajoutera : « notre corps, c’est la seule chose qui nous appartient encore ». La grève de la faim, c’est finalement un cri de désespoir, qui prend sens lorsqu’on sait que de nombreuses personnes ne mangent plus à leur faim à Calais. « On fait corps avec eux » a l’habitude de dire Ludovic Holbein.

« 1200 personnes qui dorment dehors »

« Le SAS d’accueil et la fin de l’évacuation par surprise des lieux de vie, promis par le gouvernement, je vais le dire honnêtement : ce sont des mensonges ! » dénonce Ludovic, en rigolant presque face à l’absurdité de cette situation ubuesque. Selon lui, ces dispositions ne servent à rien, et l’arrêt de l’évacuation des lieux de vie par surprise n’a duré qu’une semaine. Il ajoute que le SAS n’est pas quelque chose de blâmable en soi, néanmoins, c’est un lieu qui n’accueille que 200 personnes par soir, et pour une seule nuit… « Pendant ce temps, il y a toujours 1200 personnes qui dorment dehors ».

« Non réponse ou refus catégorique ? »

« Le gouvernement manque de courage » répète-t-il assurément. Selon lui, la politique, ce n’est pas tenter de se faire réélire aux prochaines élections, c’est essayer de répondre au quotidien. « Aujourd’hui, ne serait-ce que de nous dire “on n’en a rien à foutre de vous”, ce serait courageux. Ensuite m’appartiendrait le choix de décider si je continue, et de quelle manière ». Les 2 grévistes nous l’accordent : leur démarche n’a pas eu l’impact qu’ils souhaitaient. Ludovic admet ne pas savoir comment interpréter les réactions du gouvernement face à leurs revendications : « Je ne sais pas si c’est une non-réponse, ou un refus catégorique ».

Cependant, médiatiquement, ils ne s’attendaient pas à un tel engouement. Ludovic Holbein et Anaïs Vogel sont marqués par la solidarité des citoyens de Calais. De nombreux bénévoles ont partagé avec eux leur perte d’espoir au mois de septembre, mais l’envie de se battre est à nouveau présente. « Il y a plein d’associations à Calais, tout le monde a la tête sous l’eau, personne ne s’en sort. Mais j’ai la sensation qu’il y a une solidarité associative qui se recrée ». Tout en rappelant que leur démarche aura porté ses fruits seulement lorsque leurs trois revendications seront prises en compte : « Nous ne sommes pas les adversaires du gouvernement, ce n’est pas un combat : on devrait pouvoir dialoguer ».