Simon, 34 ans : « Le Sida fait partie de mon histoire, mais il ne me définit pas »

Six ans après son diagnostic, Simon vit normalement avec le VIH. Graphiste, en couple, sa charge virale est indétectable depuis cinq ans. Pourtant, les préjugés persistent. À l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida le 1 décembre, il raconte son parcours entre acceptation et combat contre la stigmatisation.

Un comprimé le matin avec le café. C’est tout ce qui rappelle à Simon, 34 ans, qu’il vit avec le VIH. « C’est presque banal maintenant », sourit-il. Presque. Car derrière cette routine se cache un long chemin d’acceptation, parsemé de peurs, de rejets, mais aussi de résilience.

« Je vais mourir »

Il y a six ans, dans le cabinet de son médecin généraliste, Simon entend les mots qui font basculer sa vie : « Le test est positif. » Le silence qui précède l’annonce, le regard du médecin qui cherche le sien. « J’ai eu l’impression que le sol se dérobait. Je me suis accroché aux accoudoirs du fauteuil », se souvient-il. Sa première pensée ? « Je vais mourir. » Même si rationnellement, il sait que ce n’est plus vrai, c’est ce qui lui traverse l’esprit. Puis viennent les questions : comment l’annoncer à sa mère ? Est-ce que quelqu’un voudra encore de lui ?

À 28 ans, Simon découvre qu’il fait partie des 5 125 personnes qui ont appris leur séropositivité en 2024 en France. Comme 53 % d’entre elles, il a été contaminé lors d’un rapport. « Dans ma tête, c’était lointain, quelque chose qui arrivait aux autres », confie-t-il.

« Je prends un comprimé par jour, le matin avec mon café. »

Rapidement orienté vers un service spécialisé, Simon entame un parcours médical intense : analyses de sang, rendez-vous avec l’infectiologue, soutien psychologique. Un vocabulaire entièrement nouveau s’impose à lui : charge virale, CD4, traitement antirétroviral. Aujourd’hui, il prend un comprimé par jour. Un seul. Au début, les effets secondaires étaient là nausées, fatigue, troubles du sommeil mais son traitement a été ajusté. Résultat : depuis cinq ans, Simon est indétectable.

Indétectable. Ce mot change tout. « Ça veut dire que le virus est tellement contrôlé que je ne peux plus le transmettre, même lors de rapports non protégés », explique-t-il. Indétectable = Intransmissible I=I dans le jargon médical. Ce n’est pas une opinion, c’est un fait scientifique, prouvé en 2016 par l’étude Partner : parmi 1 166 couples sérodifférents ayant eu 58 000 rapports sans préservatifs, aucun cas de transmission n’a été recensé. « Ça m’a redonné une liberté mentale immense », dit Simon.

Grâce aux traitements antirétroviraux, les personnes séropositives ont désormais une espérance de vie similaire aux personnes séronégatives. En France, la prise en charge est à 100 % par l’Assurance Maladie. La médecine est passée pour Simon, « du statut d’urgence vitale à celui de routine ».

« Ça fait mal, ces micro-rejets »

Mais vivre avec le VIH en 2025, ce n’est pas seulement une question médicale. C’est aussi affronter les regards, les silences, les peurs irrationnelles. Quand Simon a annoncé sa séropositivité à son entourage, il a fait un tri, involontairement. Sa meilleure amie a été présente immédiatement. Sa mère a pleuré, puis s’est renseignée. Aujourd’hui, elle est son pilier. Mais certains amis se sont éloignés. Un collègue a arrêté de lui serrer la main. « Ça fait mal, ces micro-rejets », souffle-t-il.

Les chiffres lui donnent raison. Selon une étude Ifop pour AIDES réalisée en 2024, 77 % des Français pensent encore qu’il est possible d’être infecté par le VIH en ayant un rapport sexuel non protégé avec une personne séropositive sous traitement. Ils ont tort. Mais cette méconnaissance nourrit la stigmatisation. Près d’un quart des Français ignore qu’une personne séropositive sous traitement peut avoir une espérance de vie normale. Et moins de la moitié continueraient de fréquenter quelqu’un s’ils apprenaient sa séropositivité.

« Les gens pensent toujours que c’est ultra contagieux, qu’on peut le transmettre par un baiser ou en partageant un verre », regrette Simon. Beaucoup ignorent ce qu’est I=I. Il y a aussi ce regard moral, cette question sous-jacente : « Comment tu l’as attrapé ? » Comme s’il fallait justifier, comme s’il y avait de « bonnes » et de « mauvaises » façons d’être séropositif. « Le VIH reste associé à la honte », constate-t-il amèrement.

Les relations intimes sont devenues une épreuve. Il faut trouver le bon moment pour en parler : trop tôt, ça fait fuir,trop tard, on se sent malhonnête. Simon a connu des réactions violentes, des personnes qui disparaissaient du jour au lendemain. « Depuis que je suis indétectable, j’ai plus confiance, mais la peur du rejet reste là », avoue-t-il.

Aujourd’hui, il est en couple depuis deux ans avec quelqu’un de séronégatif. « Il s’est renseigné, il a compris, et il ne me voit pas comme un danger. Ça change tout », sourit Simon. Cette relation apaisée contraste avec les six premiers mois qui ont suivi son diagnostic, « les plus durs ». La solitude, surtout. Les phases dépressives. Ce qui l’a aidé ? Le soutien psychologique, les groupes de parole avec d’autres personnes séropositives. « Réaliser que je n’étais pas seul », résume-t-il.

« On n’en parle presque plus, sauf le 1er décembre »

Le VIH est devenu invisible dans le débat public. « On n’en parle presque plus, sauf le 1er décembre », regrette Simon. Pourtant, environ 200 000 personnes vivent avec le VIH en France, dont 24 000 qui l’ignorent. Les nouvelles contaminations se comptent encore par milliers chaque année. Dans le monde, 1,3 million de personnes ont été infectées en 2024.

« Les gens pensent que le problème est réglé, que ça ne concerne que certaines populations. Mais le silence tue, autant que le virus », insiste Simon. Il déplore le manque de représentation médiatique, de pédagogie sur les réalités de la vie avec le VIH aujourd’hui. « Il faudrait plus de visages, d’histoires », suggère-t-il.

« Vous n’êtes pas coupables »

Aujourd’hui, Simon a appris à vivre avec. « Le VIH fait partie de mon histoire, mais il ne me définit pas », affirme-t-il. Il a appris la résilience. Il se découvre plus fort qu’il ne le pensait. Mais le virus reste présent dans son quotidien : le comprimé du matin, les rendez-vous médicaux, les formulaires administratifs où il faut cocher des cases. « C’est une charge mentale invisible », reconnaît-il.

Sa vision de l’avenir a changé. Il sait maintenant qu’il peut tout faire : voyager, avoir des enfants, vieillir. « Mais je vis plus au présent. Je ne remets plus rien à demain. Le VIH m’a appris la valeur du temps », souffle-t-il.

Aux personnes nouvellement diagnostiquées, Simon a un message : « Ce n’est pas une sentence de mort. Vous allez vivre, et même bien vivre. Les premiers mois sont les plus durs, mais ça devient plus léger. » Il les encourage à s’entourer de professionnels bienveillants, à rejoindre des groupes de parole. « Ne restez pas seuls avec vos peurs. Et surtout : vous n’êtes pas coupables, vous n’êtes pas seuls, et vous méritez d’être aimés. »

Au grand public, il souhaite faire passer un message simple : « Qu’on est normaux. Qu’on travaille, qu’on aime, qu’on vit. Qu’indétectable signifie intransmissible, c’est scientifique, c’est prouvé. » Et surtout : « Le VIH peut toucher n’importe qui. Ce n’est pas une question de comportement à risque, c’est une question de santé publique. »

Derrière les chiffres et les statistiques, il y a des visages, des histoires, des vies qui continuent. 

Clélia Saccomanno