Positif

C’est à 17 ans que Julien* a appris qu’il avait contracté le virus du VIH. Il a fait le choix de le cacher à sa famille et à son entourage. Pour Circonflex Mag, 11 ans plus tard, il raconte…

« J’étais au lycée, en terminale, quand je me suis rendu au planning familial pour faire un test. J’avais 17 ans, ma professeure de Français m’accompagnait car j’avais une relation privilégiée avec elle. Elle était ma tante, la femme de mon parrain. » Julien se souvient de tout. L’intervenant de l’association qui lui pique le doigt avec une petite aiguille, dépose la goutte de sang dans la solution. Les quelques minutes d’attente. Le résultat. Positif. Julien est bien porteur du VIH. Même si le jeune homme est dans la période d’exploration où il mène, de son propre aveu, « une sexualité débridée » et enchaîne les coups d’un soir, il ne s’y attend pas. « Je me protégeais une fois sur deux à cette époque. Pour moi le VIH, c’était un mirage. Je ne pensais pas que ça pouvait m’arriver un jour »

« J’ai demandé à ma tante de ne rien dire à mes parents, elle a respecté mon choix. »

Pas de larmes à l’annonce du résultat. Pas encore. « Tout simplement parce que je ne me rendais pas compte de ce qu’il m’arrivait ». Julien part directement à l’hôpital pour un bilan sanguin complet, il se retrouve nez-à-nez avec une fiche de prévention contre le SIDA. C’est à ce moment-là qu’il craque. « Je réalise que je ne suis pas la personne qui regarde l’affiche, mais celle qui la vit. Il y a une différence. »

En sortant, sa tante l’invite à boire un verre. « Je me souviens avoir pris un coca et elle un verre d’eau. Elle hésitait, se demandait si je devais dormir chez elle ou pas, si elle devait appeler mes parents.  Je lui ai  demandé de ne rien leur dire et après avoir longuement hésité, elle a fini par accepter. Elle a respecté mon choix. » En rentrant chez lui ce soir-là, Julien n’en parle pas. « Mes parents ne se sont rendu compte de rien. Moi,  je me disais que ça ne servait plus à rien de vivre, je pensais que j’allais crever jeune. »

« Un traitement, ce n’est pas anodin, il y a un temps d’adaptation pour le corps »

Il prend une autre décision – lourde de conséquences. Celle de ne pas se faire traiter immédiatement. Le jeune lycéen est rattaché à la couverture sociale de ses parents.  Ils auraient vu qu’il était pris en charge pour une affection longue durée. Et il y a aussi toutes les responsabilités qu’il ne se sent pas encore prêt à assumer. Trop jeune pour porter seul un tel poids sur les épaules. « Un traitement, ce n’est pas anodin, il y a un temps d’adaptation pour le corps. Ce n’était pas possible de le commencer à ce moment-là. » Il trouve néanmoins le courage d’aller en cours et de poursuivre ses études. « Je ne voulais pas rester dans mon lit à pleurer, c’était hors de question. J’ai continué à faire ma vie, dans le déni de la maladie, j’avais mes problèmes de jeune lycéen à gérer. »

Même son médecin lui conseille d’attendre quelques mois avant de commencer son traitement, le temps de passer son baccalauréat. En attendant, le lycéen achète une caisse métallique pour mettre ses analyses médicales et autres documents sensibles sous clefs. Et s’assurer que ses parents ne puissent pas tomber dessus. 

À 20 ans, son bac en poche, Julien prend son indépendance, quitte le domicile familial et poursuit ses études dans une autre ville. Désormais majeur, il  peut commencer ses soins sans que cela n’apparaisse sur le relevé de prestation de ses parents. « Déménager m’a permis de ne plus avoir à me cacher en permanence, mais ça n’a pas changé ma vie. »

«Ce serait comme leur tirer une balle dans la tête de leur dire que je suis homosexuel et séropositif.”»

Aujourd’hui, Julien est âgé de 28 ans. Après avoir essayé deux traitements qui n’étaient pas assez efficaces, il en a trouvé un qui lui convient, malgré quelques effets secondaires. Mais il n’a toujours pas dit à sa famille qu’il est porteur du VIH.  « C’est hors de question. Ça les briserait de le savoir ». Issu d’une famille conservatrice, où l’homosexualité est considérée comme  une « maladie », le jeune homme estime qu’aucun dialogue n’est possible. « Je suis fils unique. Ce serait comme leur tirer une balle dans la tête de leur dire que je suis homosexuel et séropositif ».
Mais si Julien tient à protéger ses parents, il considère néanmoins qu’ils ont une part de responsabilité dans ce qui lui arrive aujourd’hui : « Comme je ne pouvais pas parler de sexualité avec eux parce que j’étais gay, je n’étais pas assez prévenu des risques du VIH. Tout découle de ça. »

C’est justement en voulant vivre ses premières expériences à l’abri du regard de sa famille que Julien s’est mis en danger. Il était encore mineur. Et avait des relations sexuelles avec des personnes qu’il venait à peine de rencontrer, « dans des lieux peu recommandables », à la va-vite. « Si j’avais pu m’épanouir dans ma sexualité et assumer mon homosexualité, je n’aurais pas eu à prendre autant de risques. Je ne me serais pas autant négligé. »

« Putain, regarde : y a Sidaction qui arrive ! »

Avec le temps, Julien a finalement réussi à accepter de vivre avec la maladie et avoue « ne plus y penser tous les jours » Mais ça n’a pas toujours été le cas : « Quand j’ai appris qu’on m’avait refilé le VIH, j’ai été en colère pendant plus de deux an et demi. » Désormais, il ne ressent plus de haine pour la personne qui lui aurait transmis le virus, même s’il ne sait toujours pas de qui il s’agit. Il estime aussi être « chanceux », car avec les progrès réalisés sur le virus du VIH, il peut « vivre aussi longtemps qu’une personne séronégative. Mais avec un corps un peu plus fatigué que les autres ».

Depuis 11 ans, Julien a appris à se taire. Il y a la peur de briser sa famille. Mais il redoute également le regard des gens. Le rejet. L’isolement social. « Il y a des gens qui peuvent avoir peur de te faire la bise ou de boire dans le même verre que toi en pensant qu’ils vont choper le SIDA . Ça existe encore, des gens comme ça », se justifie-t-il.  Je n’ai pas envie qu’on parle dans mon dos. J’ai déjà entendu dans des soirées : « Oh putain, regarde :  y a Sidaction qui arrive ! » à propos d’un séropositif. Moi, je ne peux pas vivre ça. » Alors il se tait. Quant à ses relations amoureuses, il tient à préciser : « J’ai toujours mis un point d’honneur à respecter mes partenaires, à ne jamais prendre de risque avec eux et à avoir une sexualité saine. »

Mais il reste catégorique : son choix de cacher sa séropositivité est définitif. C’est sa façon à lui de se protéger, tout en protégeant ceux qu’il aime.

*Le nom a été modifié