Les pieds dans le dur

À 37 ans, Romuald Lecerf, ancien professeur d’histoire agrégé, a cassé la routine et quitté le monde de l’enseignement pour devenir charpentier. Portrait.

Entre les touristes en grande discussion et les habitués, Romuald Lecerf, arrivé un peu en avance, le pas pressé par les quelques gouttes de pluie, nous attend sur la terrasse d’un café lillois. Sourire aux lèvres, barbe de trois jours et « dos en compote », il nous raconte avec enthousiasme l’avancée du chantier qu’il vient de quitter, dans le Vieux-Lille. Un enthousiasme professionnel qu’il a retrouvé depuis un an et demi en devenant charpentier, et en laissant derrière lui son agrégation d’histoire ainsi que ses 12 années d’enseignement.

« J’avais vraiment besoin de sortir de la routine », déclare l’homme de 37 ans.

Retrouver des élèves « pas motivés » et faire le même cours chaque année s’était inscrit dans un train-train quotidien qui ne lui correspondait plus. Et puis, il faut le dire, l’opinion publique sur son ancien métier lui pesait. Alors, après la crise sanitaire et le fameux passage au distanciel puis à la demi-jauge en cours, Romuald Lecerf n’a pas hésité une seule seconde. Tombé dans le milieu de la charpente par hasard, alors qu’il se disait admiratif devant « la beauté des constructions et du travail collectif mené pour y arriver », le trentenaire a tout repris de zéro. Il trouve désormais son bonheur à flirter avec l’imprévu d’une vie de charpentier, les journées qui ne se ressemblent pas et les différents lieux de travail qui se succèdent. Même s’il l’admet, il manque encore un peu d’expérience, « mais bon, ce n’est que le début ».

« Je n’ai aucun regret, ça c’est sûr. »

Après des stages effectués lors des dernières périodes de vacances, Romuald Lecerf s’est trouvé une place en entreprise il y a deux mois, et s’épanouit dans son nouveau quotidien.

« Je suis content de me dire que, tous les jours, j’apprends des choses et je découvre de nouvelles facettes du métier », explique avec un léger sourire le néo-charpentier.

Pourtant, l’enseignement était une vocation qui lui plaisait depuis le lycée, avec déjà la volonté de devenir professeur des écoles. Mais son attrait particulier pour l’histoire à la fac a constitué un déclic et l’a motivé pour obtenir sa maîtrise à La Sorbonne, puis son CAPES et enfin l’agrégation. Stagiaire à l’IUFM après une année passée à Milan en Erasmus, Romuald Lecerf se lance en tant que professeur de discipline non linguistique, enseignant l’Histoire en langue italienne au lycée Albert Châtelet de Douai. De quoi surprendre certains de ses proches au moment de leur annoncer sa reconversion : « mes parents et amis étaient un peu étonnés, tandis que mes collègues étaient tristes de me voir partir », évoque celui qui était très apprécié dans son ancien établissement. Un choix qu’il nie humblement être courageux, mais qui l’a poussé à quitter un poste stable et à revoir largement à la baisse ses prétentions salariales. Cette décision a aussi fait naître quelques incertitudes : « Il y a eu une période où je me disais que je n’allais pas trouver d’alternance pour débuter, ce qui aurait mis mon projet à mal ». Les doutes mis de côté et les premières étapes de formation effectuées, Romuald Lecerf met enfin les pieds dans le plat. Enfin, « les pieds dans le dur ».

Bien loin des Dante et Garibaldi, dont il enseignait les faits d’armes il y a encore trois ans, l’ancien professeur d’histoire découvre un nouvel univers, celui de la charpente. « Je n’ai aucun regret, ça c’est sûr, ajoute-t-il en terminant son café. Demain, je ne sais même pas si je serai encore dans le Vieux-Lille ». Mais c’est justement ça qu’il apprécie dans son nouveau train de vie.