De pêcheur dans les Caraïbes à basketteur à Lille : la folle épopée de Lien Phillip

À quelques heures du match contre son ancienne équipe de Saint-Quentin, Lien Phillip, basketteur professionnel à Lille, raconte l’improbable parcours qui l’a mené dans la Capitale des Flandres. Sorti de la misère sur son île natale de Grenade où il s’est forgé auprès de sa grand-mère, il est, à 33 ans, un joueur référencé en Pro B. Rencontre

« Un derby, ce n’est jamais un match comme les autres ». À la veille de ses retrouvailles avec Saint-Quentin, où il a joué de 2019 à 2021, Lien Phillip se montre plus que jamais déterminé à l’idée de défendre les couleurs du Lille Métropole Basket : « Les fans seront bouillants, les joueurs et les coachs aussi. En plus, le match est diffusé à la télé (sur France 3 Hauts-de-France, ndlr). L’intensité va être folle et on a hâte d’en découdre ». S’il attache une importance toute particulière au club adverse, le colosse (2m03 pour 105kg) ne compte pas faire d’état d’âme dimanche : « Mon boulot, c’est de battre Saint-Quentin. Je n’aurai aucune pitié ! s’esclaffe-t-il. Avant le match, on se préparera à aller à la guerre, et pendant le match, ce sera un vrai combat ». Mais le joueur n’exclut pas un moment de communion avec les supporters lillois et picards après la rencontre, supporters qu’il considère comme « une famille » aujourd’hui : « Ce sont ceux qui me permettent de jouer, de me sentir bien sur le terrain, ils ont un énorme rôle dans nos performances ».

On a grandi avec rien

En pleine bourre, Lien Phillip a de quoi nourrir son ambition d’une qualification en playoffs à la fin de saison. « Bien sûr, il va falloir travailler pour y arriver. Mais ça ne m’a jamais fait peur ». Pour le géant lillois, le travail est une valeur fondamentale, inculquée dès le plus jeune âge par sa grand-mère, qui l’a éduqué de ses 7 à ses 14 ans : « Elle m’a appris à travailler dur pour arriver à mes objectifs, à donner le meilleur de moi-même, mais aussi à toujours bien traiter les personnes qui m’entourent et être positif ». Surtout, Lien Phillip est conscient qu’il n’était pas prédestiné à une telle carrière. Né en Grenade, État insulaire des Caraïbes d’à peine plus de 100 000 habitants, il se rappelle la misère dissimulée derrière un pays aux décors paradisiaques mais où les opportunités sont vite limitées. « On a grandi avec rien, se souvient le Grenadien. On était à sept dans une petite maison, sans eau courante, ni électricité ». À 33 ans, il se sert de cet épisode comme une leçon de vie : « J’ai appris à m’adapter à mon environnement, et à apprécier la moindre petite chose. C’est la raison pour laquelle je veux tirer le meilleur de chaque expérience. »

Désir, dévouement et discipline

Et puis, à 14 ans, la vie de Lien Phillip change brusquement alors qu’il s’installe au Canada avec sa mère et son frère. « C’était très dépaysant, Toronto n’a pas grand-chose à voir avec la Grenade », évoque dans un léger sourire celui qui est tombé dans le basket par hasard. « Chez moi, je pêchais et nageais, c’étaient mes passions et j’étais bon à ça ».  Mais à tout juste 15 ans, le jeune homme fait la rencontre de Ken Daniel, un coach qui, intrigué par sa grande taille, lui apprend les fondamentaux de la balle orange. Aux côtés de celui qui deviendra son mentor, il découvre la rigueur et l’éthique de travail nord-américaine, dont il fera sa devise :

« Mon moteur dans la vie, c’est ce que j’appelle le Triple D pour Desire, Dedication and Discipline (Désir, Dévouement et Discipline). Je ne l’oublie jamais, le dévouement continu et la discipline de soi sont des valeurs primordiales pour moi ».

Le Caribéen commence à rêver du haut niveau, à la sortie du lycée et de la prep school (classe préparatoire avant d’arriver à l’université). « Mais je n’avais que trois ans de basketball dans les jambes, j’étais fou », s’exclame-t-il en riant. Le jeune basketteur repousse ses limites et empile les heures d’entraînement. Malgré des propositions d’universités cotées, il choisit de rentrer au Canada pour se faire un nom dans une ligue peu mise en valeur. « Mon coach me disait toujours ‘Mieux vaut être un grand poisson dans un petit étang qu’un petit poisson dans un grand étang’ ». Un conseil qui a mené le joueur vers une flopée de titres universitaires individuels (trois fois meilleur joueur de la division) et collectifs. « J’ai surtout pu développer mon jeu et aspirer à des vraies propositions de contrat ». Depuis, Lien Phillip a posé ses valises en France – à l’exception d’un court passage en Australie en 2015. Lancé à Ardres, en quatrième division, le Grenadien connaît une folle ascension. « J’ai toujours besoin de prouver à moi-même et aux autres que je peux le faire, et être encore meilleur que la veille ». Totalement dominant depuis son arrivée, le trentenaire est désormais un joueur référencé en Pro B. Et il ne s’empêche pas de rêver pour l’avenir : « L’échelon supérieur ? J’adore le défi, alors je ne me refuse rien ». Mais, à l’aube du derby, Lien Phillip est entièrement concentré sur la suite de sa saison à Lille, et espère faire tomber le voisin saint-quentinois dans son antre, ce dimanche.