Une musique masquée

Spectacles, pièces de théâtre, concerts annulés… le monde artistique est bel et bien bouleversé depuis l’entrée en scène de la crise sanitaire.  Circonflex a rencontré Sandra Mavel,  professeur de musique au conservatoire de Lille. Elle parle de son métier, durement touché par la covid.

Pour Sandra Mavel, être professeur de flûte traversière, c’est tout d’abord avoir l’envie de transmettre « le plaisir de l’éloquence musicale ».Elle s’adapte à la personnalité de chacun, lui apporte une ouverture artistique et fait tout son possible pour développer ses capacités, son imagination, sa curiosité, sa créativité et sa confiance en soi. La professeure nous explique que son rôle est de trouver  le style et les ressources propres à chaque élève. La musique contribue à la construction de leur identité, de leur personnalité : « ce que l’on fait en musique, ça sert dans la vie ».

 

Je ne recevais aucune émotion

 

Pour bien enseigner la musique, Sandra Mavel nous confie qu’il est essentiel d’avoir une pratique de la scène. C’est ce qui nourrit et inspire son enseignement.  « La musique est si vivante, si on ne pratique pas l’art du spectacle, on a moins de choses à transmettre aux élèves. » La professeur a vécu difficilement le 1er confinement : les cours étaient exclusivement en visioconférence, elle n’a eu aucun plaisir artistique. «  Les liaisons de son étaient très mauvaises, c’était frustrant de travailler dans de telles conditions, analyse Sandra.  Il était possible de mesurer et corriger la justesse, le rythme, les notes et l’attention musicale à la limite, mais je ne recevais aucune émotion. »

Paradoxalement, elle a noté que la relation humaine avec ses élèves était devenue plus forte. « Les jeunes étaient très isolés, à chaque fois que nous étions connectés,  ils s’illuminaient…les parents étaient très reconnaissants et contents ». En septembre, au retour de ses élèves en présentiel, Sandra Mavel a constaté beaucoup de progrès mais une démotivation plutôt générale, un « esprit de classe » moins intense. « Les enfants ont besoin d’échéances et d’une vie sociale pour rythmer leur travail », analyse-t-elle.

 

Une période cauchemardesque

 

Conséquence positive du confinement : Sandra Mavel a réussi à s’approprier les outils technologiques,  ce qui était loin d’être sa tasse de thé au début : « j’avoue que j’étais assez réfractaire au numérique. Grace à mes élèves, j’y ai pris goût. Ils m’envoyaient des vidéos et on a beaucoup ri, on y voit le talent de chacun s’exprimer. J’ai pris l’habitude d’utiliser ces outils ».

Mais revers de la médaille pour la professeure, c’est très physique de faire des cours en visioconférence : « il faut faire attention à bien jouer dans l’axe de la caméra, explique Sandra, se plier dans tous les sens pour être sûr à la fois que l’élève voit bien la position et la tenue de l’instrument et qu’il entende bien le son. » En plus, chaque élève à ses habitudes d’utilisation numérique : entre les mails, les liens zoom et les WhatsApp…Sandra Mavel se rappelle combien c’était chronophage, à tel point de parler de « période cauchemardesque ».

 

Scientifiquement, nous ne sommes pas éclairés

 

Et aujourd’hui ? Sandra Mavel a la possibilité de donner des cours en présentiel à certains élèves, mais avec un bon nombre de contraintes : la présence d’un plexiglass, l’obligation d’aérer et de désinfecter sa salle après chaque passage, et bien sur, le port du masque. Cela semble fonctionner plutôt bien mais « ce n’est pas optimal, dès que je peux avoir accès à une salle plus grande, j’en profite. » Elle nous explique qu’il y a très peu d’indications sur le protocole à suivre, pour les profs de musique, d’instrument à vent notamment, par rapport à l’impact des aérosols. « Scientifiquement, nous ne sommes pas éclairés », regrette-t-elle.  Malgré toutes ces contraintes, cela fait beaucoup de bien à la professeur de retrouver ses élèves : « je prend chaque cours comme un moment de bienveillance et de rigolade, les élèves repartent avec de nouvelles énergies. »

 

Cette pause est reposante mais beaucoup moins épanouissante

 

Mais les cours de musique ne représentent qu’un aspect de la vie de Sandra, qui explique :  « En tant que musicienne, j’ai impression d’être un peu endormie car il n’y a pas de concert. »

Certes, les professeurs de musique profitent de ce temps plus calme pour préparer, peaufiner, explorer de nouveaux projets et répéter tranquillement. Mais il n’y a pas la même dynamique. « Cette pause est reposante mais beaucoup moins épanouissante ».

Elle ajoute qu’il est difficile de se réunir entre musiciens, car ils sont peu renseignés sur l’impact de la promulgation du virus lors d’une répétition. « On se réunit avec beaucoup d’appréhension, voire de culpabilisation parfois ».

Sandra Mavel travaille en ce moment sur un spectacle avec une danseuse. Plexiglass obligatoire sur scène pour séparer un maximum les artistes. La danseuse a eu l’idée de l’utiliser comme miroir. Belle occasion de travailler sur la thématique de Narcisse qui découvre son image : « le plexiglass, qui n’avait rien de positif sur scène, est devenu central, il prend un sens. Le résultat est superbe. ». Et Sandra de conclure : « On souffre évidemment beaucoup de la covid, mais cela nous pousse tous à se réinventer ».

 

Léonore Bonnin