bateau de migrants
bateau de migrants

Sweti : Lille au bout du voyage .

À l’âge de 13 ans Sweti quitte son pays avec deux amies pour éviter un mariage forcé. Parcours sinueux et témoignage poignant. Elle fait partie de ces jeunes migrants qui arrivés sur le territoire français, sont synonymes de désillusion et de précarité.

Dimanche 2 février, un soleil éblouissant brille sur Lille. Près de la Treille, dans le petit Parc à côté, j’ai rendez-vous avec notre invitée. Vêtue d’une veste jaune et d’un pantalon noir, elle arrive avec le smile. Très grande, pleine d’assurance, chevelure brune et soyeuse, et des yeux verts lumineux. Elle connait Lille par cœur et propose de se poser dans son café préféré, Le Café vedette.

Sweti a 20 ans, cela fait 7 ans qu’elle est en France. Elle est née le 12 avril 2004 dans un petit village perdu de la Côte d’Ivoire. Elle vient d’une famille très nombreuse, 5 sœurs et 4 frères : « la contraception c’est un sujet tabou dans nos villages, donner la vie, c’est le plus beau cadeau, comme disent les anciens ». Elle esquisse un petit rire qui me fait comprendre qu’elle n’est pas du même avis. 10 enfants au foyer, âgés de 1 à 15 ans et un seul revenu par mois, puisque maman reste à la maison pour garder les petits.

Sweti ne va pas à l’école, l’éducation là-bas est payante et chère. Seule une de ses sœurs tente d’y avoir accès en gagnant son argent : elle offre ce qu’elle appelle pudiquement « des services privés ».  « Dans mon pays, ce secteur très particulier est proposé aux jeunes filles dès leur plus jeune âge. On leur promet de les sortir de la précarité mais ce n’est qu’un leurre… ma sœur y est encore alors qu’elle avait comme objectif, il y a 5 ans, de commencer les études. »

La pression du mariage forcé

Mais alors, quel avenir pour la jeune génération ?  Sweti explique que pour les hommes, il est facile de trouver un travail. Là bas, il y a toujours une forte demande dans la maçonnerie et les métiers manuels. Pour les femmes, c’est une autre histoire : « c’est simple, nous avons trois possibilités. Soit nous avons fait des études, car notre entourage en avait les moyens et nous avons donc accès au monde du travail. Soit ce n’est pas le cas, nous connaissons alors la pression du mariage forcé ou du service militaire ».

C’est ce qui est arrivé à Sweti. Son père d’origine musulmane voulait la marier à son oncle… Sa mère chrétienne n’était pas de cet avis. Pour éviter ce mariage, elle l’a forcée à quitter son pays avec deux autres filles du quartier. « J’ai éprouvé de l’incompréhension et de la haine envers ma maman, j’étais jeune et je ne comprenais pas tout à cette époque. Me séparer de ma famille fut pour moi la plus grande épreuve de ma vie… mais la suite de ce périple m’a montré que l’inconnu réserve des épreuves bien plus rudes ».

« Mon bateau a chaviré, j’ai vu des personnes mourir sous mes yeux »

En mai 2017, elle prend la route vers la Lybie avec un groupe de personnes et un passeur. Ce passeur leur demande une somme qui dépasse l’entendement. Elle explique avoir dû multiplier les tentatives pour traverser  la Méditerranée afin d’éviter la police maritime et aussi bénéficier de meilleures conditions météorologiques. « Lors de la seconde tentative, mon bateau a chaviré et j’ai vu des personnes mourir sous mes yeux. Des enfants et des personnes âgées ont été emportés par le courant… » Sweti interrompt un instant son récit, les mots sont plus difficiles à trouver, sa gorge se noue, la voix est émue.

« Je pensais ne pas avoir peur de la mort. Mais quand j’ai vu qu’elle pouvait arriver aussi rapidement et aussi violemment…. J’ai perdu une partie de moi-même ce jour-là. »  Un silence. Elle prend une gorgée de son cappuccino. Son regard se ferme, elle se perd dans ses pensées.

« Je n’ai jamais revu ma famille »

Normalement prévus pour 20 personnes, les zodiaques des passeurs en transportent plutôt 50 … Après plusieurs jours, Sweti arrive sur les côtes françaises : « comme j’étais très jeune, j’ai été directement prise en charge par une association, et accompagnée dans les démarches administratives. Je n’ai jamais été séparée de mes coéquipières. Aujourd’hui, je suis en coloc avec ces mêmes jeunes filles, je suis si reconnaissante envers ce pays qui est le mien maintenant. Je n’ai jamais revu ma famille. Un jour peut-être… »

Pour Sweti, les temps en France n’ont pas toujours été faciles…  Scolarité mouvementée par les critiques et le regard des autres. Mais elle explique qu’elle n’a pas eu le choix. Elle s’est accrochée pour réussir, au moindre abandon, c’était fini. « Le passeur m’avait dit que la France n’était pas un bon pays, que les gens étaient racistes et égoïstes. Pourtant, ce pays m’a offert l’opportunité de devenir quelqu’un et de construire ma propre identité. Je l’ai saisie ». Elle sourit, passe la main dans ses cheveux, ses yeux sont remplis de fierté.

Aujourd’hui, comme la plupart des jeunes de son âge, Sweti étudie, plus précisément en L3 Histoire. Elle enchaine deux jobs étudiants pour subvenir à ses besoins et continue de garder le sourire qu’elle avait quand elle était petite.