Demain aura lieu la marche contre les violences sexistes et sexuelles à Lille, organisée par le collectif Nous Toutes Lille. Nous avons rencontré Agathe et Blandine, deux militantes de ce collectif féministe au cours d’un atelier de confection de pancartes à Lille.
Circonflex :Comment vous sentez vous à l’approche de la marche de samedi?
Blandine : J’ai tellement hâte ! Cette marche, c’est un moment de sororité incroyable. On y voit des gens danser, crier, chanter. Après la marche, certains viennent te dire qu’il n’y a que dans les manifestations féministes que l’on trouve cette joie de se retrouver, d’être ensemble, d’unir sa voix dans un même message. On crie notre colère contre les violences sexistes et sexuelles, mais en même temps, on célèbre notre ralliement, notre adelphité. (Homme, femme et personne non binaire, ndl).
Agathe : Je suis impatiente ! Je pense qu’on sera au moins cinq mille ! Rien qu’à l’atelier pancartes, quand on met de la musique, tout le monde chante : on va avoir des frissons quand toute la vague violette chantera à son tour.
C : Quels sont les rôles des militantes de Nous Toutes lors de la marche ?
A : Il y aura une personne de chez Nous Toutes Lille derrière la banderole de tête, à coté des membres des autres associations, comme La Fondation des femmes ou encore le planning familial. Certaines prendront la parole au début de la marche, d’autres gèreront les chansons, chanteront dans le mégaphone pour entraîner les gens.
Il y aura un espace pour les personnes à mobilité réduite et un espace safe, non-mixte, pour les personnes qui ne se sentent pas à l’aise entourées d’hommes. Nous serons là pour délimiter cet espace, pour qu’elles se sentent en sécurité.
C : Qu’avez-vous réalisé depuis que vous êtes engagées ?
A : Dans notre collectif, celles et ceux qui veulent avoir des responsabilités peuvent y accéder.
Durant la réunion de septembre, on a demandé des volontaires pour communiquer sur les réseaux sociaux. C’est mon truc, j’adore faire ça, j’ai pris cette responsabilité en charge. Et je suis très satisfaite du résultat : on a gagné 10 % d’abonnés sur le compte Instagram en octobre ! À chaque fois que je me connecte, je vois plein de likes, plein d’abonnements, ça fait vraiment plaisir et c’est hyper valorisant.
« Mes amis me surnommaient la féministe et à l’époque, ce n’était pas un compliment »
C : Quel a été le déclic de votre engagement ?
A : Je pense que j’ai eu un ras-le-bol général. Dans le milieu du travail, il y a beaucoup de sexisme et de remarques. Petit à petit, j’ai commencé à prendre conscience que certaines remarques n’étaient pas normales. En septembre, j’ai vu passer un post de Nous Toutes Lille et je me suis dit :« tiens, je vais aller voir de quoi il s’agit ». J’ai adoré et je me suis engagée.
B : Je n’en ai pas eu. J’ai toujours été sensible aux inégalités qu’il y avait entre les sexes à l’école. J’étais consciente qu’en tant que fille, je ne pouvais pas faire la même chose que les garçons. Au collège et au lycée, mes amis me surnommaient « la féministe » et à l’époque, ce n’était pas un compliment ! Quand je suis devenue étudiante, je me suis engagée chez Stop-harcèlement de rue et à Lille sans relou. En 2019, j’ai intégré Nous Toutes.
C : Pourquoi Nous Toutes et pas une autre association ?
A : J ’ai été touchée par la volonté de sensibiliser le public avec les formations et les opérations coup de poing. J’aime les actions très concrètes. Par exemple, lorsque tu tractes, tu échanges vraiment avec les gens, tu parles yeux dans les yeux. Ces personnes vont ensuite réfléchir. Ça va ou non changer les choses, mais en tout cas, c’est toi qui auras été acteur d’un possible changement !
C : Y’a-t-il des hommes qui assistent aux réunions ?
A : C’est la première fois que l’on a des mecs présents cette année, c’est trop cool ! Il y en a même un sur Insta qui m’a demandé si la distribution de flyers était ouverte aux hommes : Je lui ai répondu oui, bien sûr ! Il va venir la semaine prochaine.
B : On aimerait que les hommes s’investissent plus. Les violences sexistes et sexuelles, c’est un problème systémique. Et le système est fait par les femmes et par les hommes. Qui est-ce qui perpétue majoritairement les violences sexistes et sexuelles ? Ce sont les hommes. Eux aussi doivent s’investir et militer pour que leurs pairs cessent.
« Il ne faut jamais tracter seule parce que tu ne sais pas sur qui tu vas tomber »
C : Avez-vous déjà été confrontée à des réactions violentes ?
B : Quand on tracte, on rencontre parfois des hommes et des femmes qui nous agressent. Il ne faut jamais tracter seule parce que tu ne sais pas sur qui tu vas tomber. Tu peux te mettre en danger. Face au militantisme, certains réagissent violemment, en partie parce qu’ils veulent garder leurs privilèges. Nous menons une action que nous appelons Une femme sur sept : on va voir les gens, on leur dit qu’une femme sur sept sera victime d’un viol ou d’une tentative de viol au cours de sa vie. Un jour, un homme a pointé du doigt une militante et a dit « Moi, c’est celle-là que je vais violer » …
C : Qu’est-ce qui pourrait vous faire arrêter ?
B : Rien. Je quitterais Nous Toutes si je devais ne plus être en accord avec ses valeurs. Mais l’égalité pour tous.tes et la lutte contre les discriminations de manière intersectionnelle, ce sont des combats que nous partageons.
A : Si je dois m’arrêter, ce sera à cause d’un burn-out militant. Cela arrive souvent : on s’implique trop, on prend trop les choses à cœur, on se met trop de pression. C’est la seule raison qui pourrait me faire arrêter.
C : Et vous avez vous déjà vécu ce genre de burn-out militant ?
B : Oui. Je me suis engagée dans le bureau national de l’association des étudiants en kinésithérapie. C’était très très dur. On m’a proposé des postes importants mais j’ai dû refuser parce que moralement, ce n’était plus possible. Maintenant, j’arrive à me réguler pour ne plus franchir la limite.
Ce qui est formidable, c’est qu’on est nombreuses à gérer Nous Toutes Lille. C’est vraiment un plaisir de venir ici pour militer.
« Bordel, ça va s’arrêter quand ? »
C : Quel a été le moment le plus fort de votre engagement chez Nous Toutes Lille ?
B : Lors de ce qu’on nomme les femmages, des actions pour parler des victimes de féminicides. Tout à l’heure, j’étais à un rassemblement pour Helana, qui a été assassinée à 19 ans par son conjoint. Ce sont les moments les plus forts en émotions. Ce moment où tu as envie de fondre en larmes et tout casser. Tu te dis « mais bordel, ça va s’arrêter quand ? ». Le nombre de féminicides, ce n’est pas seulement un chiffre. Il y a des victimes et des bourreaux derrière, une réalité, un système. Il y a tellement de gens qui ferment les yeux, qui dévalorisent ce qu’on fait, qui minimisent notre engagement.
C : Est-ce démoralisant parfois ?
B : Non. Parce que je vois que depuis quatre-vingts ans, il y a vraiment des évolutions concrètes. C’est à nous de ne rien lâcher pour que cela continue. Simone de Beauvoir disait : il suffira d’une crise politique, économique, religieuse, militaire, pour que tous nos droits soient remis en question. Toute notre vie, il faut lutter pour acquérir de nouveaux droits mais aussi pour les droits que l’on a déjà, parce que rien n’est jamais acquis. Il faut conquérir. On ne va pas les quémander, nos droits. On va les arracher !