La rue semble baigner ses habitants dans l’anonymat. Par la force de l’habitude, j’ai souvent croisé cet homme sans domicile fixe dans le quartier. Son attitude avenante, sa bonne humeur m’ont permis d’entretenir une relation quotidienne très simple avec lui. Histoire d’une rencontre.
Gaëtan a grandi à Wanbrechies, près de Lille, dans les années 80, dans une famille modeste de trois enfants dont il est l’ainé. Il fait un apprentissage en mécanique auto, avec à la clef, un diplôme et l’assurance d’un boulot stable. Tout est devenu compliqué le jour où il a perdu son permis de conduire, et par conséquent son travail de mécanicien. Gaëtan a alors sombré dans la petite délinquance. Il raconte cette période de vie, il insiste sur le fait qu’il n’est pas fier de ses « bêtises », comme il les nomme lui-même.
6 ans ferme
Et puis tout s’accélère. A 20 ans, il est incarcéré pour la 1ère fois à cause d’un vol de voiture, et passe sa première nuit en prison à pleurer. Puis une 2ème fois, à 24 ans. Pour la même raison. Il sort en 2006 et décide de se reprendre en main. Mais peu de temps après sa sortie, son père décède. Gaëtan se retrouve alors dans l’obligation de trouver un travail. Sans diplôme, sans permis de conduire, il n’y parvient pas. Il retombe dans ses travers : nouveaux vols, nouvelle peine. Cette fois-ci, il prend 6 ans ferme. Paradoxalement, c’est derrière les murs de la prison que Gaëtan a commencé à travailler. Il est chargé de la distribution des gamelles pour les détenus de son étage. Cela lui permet de passer le temps et de gagner un peu d’argent. Il sort en 2014 et sans travail, se retrouve à la rue.
Cette nuit-là, j’ai cru que j’allais mourir
Cela fait 6 ans que Gaëtan vit sous une tente. La première chose dont il parle quand il évoque sa vie de SDF, c’est de la violence, du manque de solidarité entre les gens qui vivent à la rue. Il explique qu’il vit dans un monde impitoyable. Tous les jours, il se fait agresser, la plupart du temps par des personnes qui sont dans la même situation que lui : « Ça va des insultes aux menaces, plus graves, à l’arme blanche ». C’est pour ces raisons que Gaëtan refuse d’aller dormir dans les lieux associatifs. Le peu de fois où il y a mis les pieds, il n’en garde que des mauvais souvenirs, comme la nuit où on lui a volé́ ses chaussures.
Dans la rue, Gaëtan a rencontré Véronique, une jeune maman de trente ans. Elle a commencé à faire la manche avec lui il y a 2 ans. Véronique considère Gaëtan comme le seul ami qu’elle ait jamais eu. Il l’a aidé à ne pas s’enfoncer dans la dépression lorsqu’elle a perdu la garde de sa fille. Désormais, les deux compagnons de galère sont inséparables. Véronique loue un logement dans Lille. Elle permettait à Gaëtan de dormir au chaud quelques nuits, de venir laver ses affaires. Mais leur relation ne plaisait pas à ses voisins.
Un jour, ils les ont vu faire la manche. Depuis, ils leur font vivre un enfer. Véronique se souvient : « une fois, la police est venue frapper à la porte de l’appartement. Ils m’ont questionnée, les voisins leur avaient dit que mon compagnon me séquestrait… » Depuis ce jour, Gaëtan ne peut plus dormir là bas. Il a réintégré sa tente. On lui demande ou il l’a installée. Mais il refuse de nous dire exactement où il vit, traumatisé par une nuit de terreur : « Je dormais lorsque j’ai été réveillé brusquement par des bruits, et une forte chaleur. On avait mis le feu à ma tente. Cette nuit-là, j’ai cru que j’allais mourir ».
Rien ne vaut la liberté
De cette vie de galère, Gaëtan a pourtant tenté de sortir. Il y a 5 ans, il réussit à associer Décathlon à un beau projet. Son objectif : faire le tour de France à vélo, en passant par toutes les grandes villes, pour écrire un guide destiné aux SDF, un peu à la manière du guide du routard. Tout était prévu, il a même été suivi par la Voix du Nord. Il devait commencer son périple à Bray-dunes et longer ensuite toute la côte ouest. Mais le jour de son départ, il apprend la mort de sa mère. Dévasté par la nouvelle, il arrête tout. « Avec la mort de ma mère, j’ai perdu la seule personne de ma famille que je voyais encore. J’ai un frère et une sœur, je reçois de temps en temps des nouvelles. Mais ils ont quitté le Nord, je ne les vois plus. De toutes les façons, c’est moi l’ainée, je ne conçois pas de leur demander de l’aide. La mort de ma mère, c’est la chose la plus triste qui me soit arrivée. »
L’héritage de sa maman lui permet d’acheter une camionnette. Avec un ami, ils projettent de faire les marchés. Des contacts sont pris avec les fournisseurs. L’affaire prend tournure. Mais décidemment, le sort s’acharne. Ils se font voler le véhicule qui portait tous leurs espoir. Le projet qui aurait pu changer sa vie disparaît avec la camionette. Retour à la case départ.
Le confinement, le couvre-feu… Gaëtan ne se sent pas concerné. Sa vie dans la rue n’a absolument pas changé, il a toujours autant de mal à trouver un endroit chaud pour dormir. Il se rappelle ses années-prison. Alors, il ne se posait pas la question de savoir où il allait passer ses nuits. Pourtant, même si elle est parfois cher payée, d’expérience, il le sait : rien ne vaut la liberté…