J’ai passé une journée avec François Hollande

Passer une journée avec un président de la république ? Un rêve pour certains, une séquence surréaliste pour d’autres,  Pour moi, c’est simplement la réalité d’un moment suspendu. Circonflex Mag est allé à la rencontre de François Hollande afin de mieux comprendre le quotidien d’un ancien président, et revenir sur les moments forts de son mandat particulièrement mouvementé.

Ce mercredi 8 décembre 2021 au réveil, l’itinéraire d’un étudiant tout ce qu’il y a de plus normal va être bouleversé. L’étudiant, c’est moi, Lucas, 20 ans. Je m’apprête à passer une journée avec l’un des trois présidents de la République encore en vie. Celui pour qui mes parents m’ont emmené chanter « Victoire ! » dans les rues parisiennes, un soir de mai 2012, plein d’espoir. Le même qui fera face aux pires attentats que la France ait jamais connus. Celui qui affirmera également que se marier pour un homosexuel, c’est normal, et que chacun doit posséder ce droit. Cet homme, c’est évidemment François Hollande,7e président de la Ve République, énarque émérite, ancien député français et européen, et premier secrétaire du Parti Socialiste durant 11 ans.

« Vous êtes là pour le reportage ? »

Le rendez-vous est donné à 8h30, à proximité du Jardin des Tuileries, dans l’hypercentre parisien, à l’entrée des bureaux de l’ancien président. Son agenda est chargé en cette matinée de fin d’automne : quatre longues interviews doivent se succéder, auxquelles se sont ajoutés notre reportage au cœur de son quotidien, et la préparation de son déplacement de l’après-midi à Lille. Les sirènes de police s’approchent, l’immense portail s’ouvre, et le président apparait. Il nous salue immédiatement, nous demande « vous êtes là pour le reportage, c’est bien ça ? » et nous propose de le suivre, nous épargnant des présentations d’apparats.

Il faut dire que nous nous sommes déjà rencontrés. C’était en juillet, pour préparer ce reportage et définir nos attentes réciproque. L’occasion aussi pour le président de me questionner durant une heure sur l’état actuel de la jeunesse.

Après sa première interview, il profite d’un court moment de temps-mort pour nous présenter son bureau. Un espace à la fois professionnel et personnel, comme il aime à le décrire. La pièce est spacieuse, sans être démesurée. Un vaste bureau, une grande table, une bibliothèque, plusieurs canapés qui forment un petit salon. Accrochés sur les murs, posés sur les nombreuses étagères, des souvenirs qui ont marqué son quotidien de président. Une photo avec l’ensemble des dirigeants de la planète lors de la marche républicaine pour Charlie Hebdo. Un buste de Jean Jaurès. Des livres par centaines, une collection de petites voitures présidentielles, mais aussi des casques de la garde républicaine et des maquettes de rafales ou de sous-marins.

Il n’a jamais quitté la politique

Le président travaille les yeux rivés sur tout Paris. Les deux grandes fenêtres qui encadrent son bureau dévoilent un panorama grandiose : les jardins des Tuileries en contre-bas, le Louvre sur la gauche, lAssemblée Nationale dans la continuité de la Concorde, la Seine qui divise le tout et la Tour Eiffel qui surplombe cette lucarne sur la capitale. De quoi inspirer le président dans ses phases d’écriture. Il le confie d’ailleurs : « Durant le confinement, je venais ici pour écrire mon livre ». Son dernier ouvrage, Affronter, est paru quelques semaines avant notre rencontre, six mois avant la présidentielle, comme pour montrer que l’ex-président veille au grain. Lui qui n’a « jamais quitté la politique », comme il tient à le préciser lorsque je l’interroge sur un potentiel retour.

A l’heure du déjeuner – j’aurais bien aimé qu’il en soit autrement ! – chacun a repris sa place. Le président a été servi par son maître d’hôtel personnel. Avec mon équipe, nous nous sommes dirigés vers le fast-food le plus proche. C’est aussi ça, finalement, passer une journée avec un président.

« Un tête à tête de 45 minutes avec un président »

Après une séance photo pour les besoins de notre reportage, rendez-vous à la Gare du Nord. Ce Paris- Lille, je l’ai pourtant fait une centaine de fois. Mais là, rien ne ressemble plus à rien. Sous bonne escorte policière, nous traversons la foule des voyageurs. La gare entière a les yeux rivés sur nous, je me fais tout petit tandis que les accès aux quais s’ouvrent les uns après les autres, comme par magie.

Place alors à un moment suspendu. Un rêve de gosse, réalisé aujourd’hui, désir inassouvi de nombreux journalistes expérimentés : un tête à tête de 45 minutes avec un président français. Le temps de longuement revenir sur l’expérience de l’exercice du pouvoir : ses joies et ses échecs.

François Hollande le concède immédiatement : « ce que l’Histoire retiendra », c’est sa gestion des attentats : « je le voudrais que je n’y parviendrais pas, je ne le voudrais pas que je ne l’éviterais pas », me souffle-t-il alors.
C’est d’ailleurs lors de cette crise qu’il vivra les moments les plus forts de son quinquennat. L’horreur d’abord : « le pire, c’est de constater la mort ». Suivi du sursaut démocratique : « le pays a réagi comme il fallait : j’étais très fier que l’on soit là, réunis, quel que soit nos sensibilités ».
Mais son mandat ne se résume pas seulement à la séquence des attentats. Il y a eu de beaux succès, celui de la COP21 par exemple. Une conférence qui aura été un « moment considérable, pas forcément jugé, au moment où il s’est produit, à la hauteur de ce qu’il représentait » se désole-t-il. Difficile de lui donner tort, quelques mois après le rendez-vous manqué de Glasgow.
Une belle réussite donc, sous-estimée par l’opinion publique, révélateur criant du manque de popularité de l’ex-chef d’état socialiste. Le président l’assume :« oui, ça m’a affecté, et cela a coloré le quinquennat ».
Un autre épisode l’a particulièrement marqué : c’est la peopolisation de sa vie et notamment l’exposition de sa relation avec l’actrice Julie Gayet : « Avoir ma vie débalée aux yeux de tous, je m’y attendais, mais pas avec cette violence-là, et surtout pas avec ce niveau d’intrusion ». Ce sera d’ailleurs la seule fois de la journée où il me semblera percevoir une faille émotionnelle dans sa carapace d’homme d’état. 

« L’état de la gauche est presque humiliant »

Cet entretien a aussi été l’occasion de faire un point sur l’état de la gauche à quatre mois de la présidentielle. Une analyse qui prend encore plus de résonance à quelques jours du premier tour.

 « Je soutiens Anne Hidalgo parce que je suis socialiste ».  Pas d’esquive du président à ce niveau-là. Mais la sémantique est intéressante, il justifie son soutien par son appartenance au PS. Comme s’il n’avait, au fond, pas le choix -il y a quelques mois, Le Monde révèlait qu’il se serait préparé à se présenter lui-même sous l’étiquette PS, mais que la candidature de la maire de Paris aurait court-circuité ses envies-

Néanmoins, son constat est rude : « l’état de la gauche est presque humiliant ». Il me confirme qu’il ne voit « aucune dynamique possible, car il n’y a pas de dynamique quand il y a une gauche dispersée ». Un état dont il se « désespère », lui qui a connu la gauche « en conquête et aux responsabilités ». Difficile d’accabler plus encore la nouvelle génération de socialistes…

L’entretien aurait pu continuer des heures …Malheureusement,  le trajet Paris-Lille ne dure qu’une heure deux. Sur le quai, Martine Aubry attendait le président. Nous nous sommes rendus à la conférence qu’il donnait le soir même à Science Po Lille.

En plein cœur du cyclone

Plus de deux heures d’attente, trois amphis pleins – deux ne font que retransmettre la conférence-, et des dizaines de journalistes : François Hollande est accueilli comme une rockstar. Les étudiants lillois ont organisé une haie d’honneur pour son arrivée, et quelle arrivée ! Flashs, téléphones, et mouvements de foule. Nous, nous sommes en plein cœur du cyclone, aplatis entre le costume du président et son service d’ordre personnel. La conférence durera deux heures. L’humour et l’accessibilité du président socialiste raviront les jeunes. Après la conférence, il se tiendra disponible pendant plus de trois heures pour signer son livre et échanger quelques secondes avec chacun des étudiants.

Alors ce qui est certain : ce ne sera pas son nom qui sera scandé le 24 avril à 20h. Mais après cette journée passée aux côtés de François Hollande ce que je retiendrais avant tout, c’est cette popularité immense dont il jouit, lui, l’ancien président mal-aimé.